Belgique

Hadja Lahbib (MR) : « La Russie nous confronte à une horreur quotidienne qui nous oblige à nous adapter »

Au sein du gouvernement fédéral, une idée est en train de faire son chemin : celle de livrer nos F-16 ou, en tout cas certains d’entre eux, à l’Ukraine. On le sait, la contre-offensive contre les troupes russes est sanglante et difficile notamment en raison du manque d’appui aérien. Plusieurs pays européens ont décidé de livrer des avions de chasse à l’armée ukrainienne. La Belgique n’a pas pris la même décision. Le commandement de l’armée estime que nos appareils sont trop usés.

Pour le MR, il faut réexaminer cette position et clarifier la situation. En kern (comité ministériel restreint), vendredi, la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, et David Clarinval, le vice-Premier ministre MR, ont demandé qu’on procède à une étude afin de déterminer si, malgré tout, nos F-16 pourraient être envoyés en Ukraine.

J’ai demandé et le MR a demandé que l’on soit en mesure de prendre une décision en toute connaissance de cause, confie Hadja Lahbib (MR), la ministre des Affaires étrangères. On a demandé à la Défense une analyse avec différents scénarios. Certains militaires ont dit que les F-16 n’ayant pas atteint leur nombre maximal d’heures de vol – 8 000 heures – pourraient être livrés aux Ukrainiens. On a tous comme objectif de mettre fin à cette guerre le plus vite possible. Il y a des Ukrainiens qui meurent tous les jours, et cela se passe à 2000 km de nos frontières. La Belgique sera engagée aux côtés des Ukrainiens aussi longtemps que cela sera nécessaire. C’est un devoir moral.

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Les arguments utilisés pour justifier le fait que la Belgique ne livrerait pas de F-16 ne semblent pas vous avoir convaincue. Notre pays a-t-il voulu ménager la Russie ?

Il faut faire la clarté dans ce dossier. Comme ministre des Affaires étrangères, j’ai le devoir d’avoir une vue d’ensemble et de dépasser les intérêts des uns et des autres. Mener cette étude, c’est une question de transparence et de logique. Il faut avoir les données en main pour prendre la bonne décision.

Qui va mener cette étude ?

Seule l’armée peut le faire. On ne peut pas laisser cette question dans le flou. Si des F-16 sont disponibles et peuvent être mis à disposition sans déforcer la défense du flanc oriental de l’Otan, mission à laquelle la Belgique participe, on devra prendre une décision politique en connaissance de cause.

Livrer des F-16 à l’Ukraine, ce n’est donc plus une ligne rouge pour la Belgique ?

La ligne rouge, c’est la Russie qui la dépasse. C’est la Russie qui agresse et qui cible volontairement des infrastructures sociales, énergétiques, essentielles à la vie de la population ukrainienne. C’est la Russie qui bombarde les ports pour que cessent les livraisons de céréales à l’Afrique. C’est la Russie qui piétine les règles de base des conventions internationales prévoyant le respect de l’intégrité territoriale des uns et des autres. Elle nous confronte à une horreur quotidienne qui nous oblige à nous adapter et à apporter une réponse.

guillement

La ligne rouge, c’est la Russie qui la dépasse. C’est la Russie qui agresse et qui cible volontairement des infrastructures sociales, énergétiques, essentielles à la vie de la population ukrainienne.« 

La guerre pourrait durer plusieurs années encore… Notre pays a-t-il la capacité d’aider militairement l’Ukraine aussi longtemps ?

On a un devoir moral, je l’ai dit, par rapport à un pays qui est aux portes de l’Union européenne, qui a une aspiration démocratique, qui mène des réformes alors que des bombes éclatent tous les jours et font des victimes, des femmes et des enfants, de manière non discriminée. A-t-on le choix ? Où s’arrêtera la Russie si on la laisse gagner ? Je reviens d’une mission en Moldavie, en Arménie et en Géorgie. Ces pays ont à leur porte des conflits gelés, des troupes russes sont présentes par centaines ou par milliers. Avec des menaces hybrides, comme c’est le cas en Moldavie où la Russie interfère et tente de manipuler les informations. Ces pays sont menacés par la Russie. A-t-on le droit, a-t-on le choix, de laisser tomber ces pays ? Ce sont nos valeurs, en fait, qui sont piétinées.

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Bruxelles - SPF Affaires Etrangères: Hadja Lahbib (MR), Hadja Lahbib. Ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes et du Commerce extérieur, et des Institutions culturelles fédérales. A Bruxelles le 15 septembre 2023
Hadja Lahbib, durant l’interview accordée à La Libre. ©JC Guillaume

« Notre but est de permettre à l’Ukraine d’être position de force pour négocier »

Nicolas Sarkozy, l’ancien président français, a suscité une polémique en France en estimant qu’il fallait renouer avec la Russie et négocier la paix en Ukraine. Qu’en pensez-vous ?

Oui, il faut parler à la Russie, bien sûr. On sait tous que toutes les guerres se terminent à une table de négociation. Faut-il laisser la Russie former un club avec la Corée du Nord ? Il n’y a rien de plus dangereux. Mais, pour discuter, il faut quelqu’un à l’autre bout de la table. Et, pour le moment, il n’y a personne (du côté russe)… Il y a un plan de paix en dix points du président Zelensky et la Belgique le soutient. Notre but est de permettre à l’Ukraine d’être position de force pour négocier. La Russie a fait voler en éclat les principes qui ont permis de construire un monde en paix depuis 1945.

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guillement

Il faut parler à la Russie, bien sûr. On sait tous que toutes les guerres se terminent à une table de négociation. Faut-il laisser la Russie former un club avec la Corée du Nord ? Il n’y a rien de plus dangereux. Mais, pour discuter, il faut quelqu’un à l’autre bout de la table.« 

Les Occidentaux n’ont-ils pas trop tardé à livrer les avions à l’Ukraine ?

Je ne sais pas si c’est trop tard. Chacun fait ce qu’il peut. Par exemple, on ne peut pas jeter maintenant la pierre à une politique qui a fait que la Belgique n’atteint pas les 2 % de PIB en dépenses militaires malgré nos engagements liés à l’Otan. Si je vous avais dit, il y a deux ou trois ans, en pleine pandémie, qu’on allait investir dans l’armée, quelle aurait été votre réaction ? Tous les regards étaient alors tournés vers les hôpitaux.