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Tunisie : reprise de l’épidémie de sida – Actualités Tunisie Focus

 « D’habitude, nous enregistrons 70 nouveaux cas par an. »

L’année dernière, nous en avons enregistré 440 et nous prévoyons un chiffre pouvant atteindre les 700 nouveaux cas chaque année », indiquait le professeur Rim Abdelmalek à l’occasion de la journée internationale contre le sida, le 1er décembre dernier.

L’annonce, bien que diffusée sur les réseaux sociaux pour sonner l’alarme, n’a suscité aucune réaction pour le moment. Comme si les Tunisiens n’étaient pas concernés par le VIH.

« Les chiffres donnés sont ceux de l’année dernière et d’après nos calculs, ils auront doublé pour 2023 », insiste pourtant Sonia Torkhani, administratrice de l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissible et le sida Tunis (ATL MST Sida). Ses craintes sont étayées par les chiffres d’Onusida qui, plutôt que d’attester d’une régression du virus documentent son installation : en 2021, 5 400 personnes vivant avec le VIH avaient été recensées en Tunisie dont 200 enfants, 2 400 femmes, 2 800 hommes âgés de 15 ans et plus.

Fondée en 1990 par un groupe de médecins bénévoles, l’ATL est l’acteur incontournable dans la prévention de l’endémie, mais ses actions et sa visibilité semblent avoir perdu de leur importance. Une attitude d’autant plus regrettable que l’association participe au dépistage d’autres maladies sexuellement transmissible (MST) plus pernicieuses. « Le VIH est devenu une maladie chronique et personne n’est attentif à d’autres maladies qui font des dégâts, comme l’hépatite C ou la syphilis qui fait son retour », précise Sonia Torkhani qui reconnait un recul de la prévention depuis l’épidémie de Covid, « comme si un virus en avait occulté un autre ».

L’administratrice d’ATL déplore surtout la difficulté à obtenir une autorisation pour accéder aux établissements scolaires, auprès de responsables qui refusent d’endosser la responsabilité des campagnes de sensibilisation au sein des collèges et lycées. Si bien que l’ATL en est réduite à travailler uniquement avec des partenaires de longue date, qui savent que les sujets abordés avec les élèves ne relèvent pas de l’incitation à la débauche.

Éducation sexuelle inexistante

« L’ATL répond à des questions qu’ils se posent et que nul n’aborde », se félicite un directeur de lycée qui constate que l’information sur les pratiques sexuelles est encore taboue. Le plus souvent, les parents l’évacuent au nom de la morale, de l’idéologie religieuse ou des convenances. « Ne rien dire revient à mettre son enfant en danger », déplore un pédiatre qui suit des enfants porteurs du virus. Le cursus scolaire ne sensibilise pas non plus à la sexualité, se contentant de parler de celle des animaux et des insectes ou la ramenant à la reproduction. Les jeunes se tournent alors vers internet qui charrie des informations contradictoires, voire nocives, à travers la diffusion de la pornographie. « Les éducateurs ne prennent pas la mesure des contenus auxquels les adolescents sont confrontés », confirme un enseignant de sciences dans un établissement public qui rappelle que les premiers rapports sexuels ont lieu au collège.

« Le VIH est aujourd’hui une maladie de comportement que l’on peut réduire », ajoute Sonia Torkhani qui fait un lien entre les changements de mode de vie – notamment les excès en tout genre chez les jeunes en période estivale – une négligence de la protection et la transmission virale. L’ATL distribue, quand elle le peut, des préservatifs dans les lieux de divertissement. « Il y en a à la fraise, à la banane ou tutti frutti qui pourtant n’ont pas de succès », s’étonne une étudiante.

Irresponsabilité des adultes

L’association met aussi en garde contre l’augmentation des pratiques sexuelles non contrôlées sous effet de la drogue et de l’alcool, dont l’usage se répand chez les jeunes. « Souvent, ils ne se souviennent même plus des rapports qu’ils ont eus et dans quelles conditions, évidement ils négligent de se protéger et multiplient les expériences et les partenaires », rapporte un médecin du centre des maladies infectieuses et tropicales de Monastir, qui dénonce l’irresponsabilité des adultes.

« Le VIH ne concerne plus seulement que les minorités, ce n’est plus une maladie importée, sa diffusion est locale et il est répandu dans toute la population. D’où la nécessité de se protéger même si le partenaire paraît propret, bien sous tous rapports. Il peut être porteur sans le savoir. Il suffit d’une fois, une seule et malheureuse fois, pour gâcher une vie », plaide l’infectiologue dans l’espoir que le message arrive jusqu’aux autorités de tutelle pour qu’elles investissent dans la prévention soutenue et la sensibilisation régulière.

Lever les malentendus

Dans les années 2000, les campagnes étaient relayées par les médias. Mais aujourd’hui, ceux-ci semblent mettre sous le tapis un sujet dont ils estiment qu’il peut déranger les auditeurs. « Il faut donner la parole aux professionnels pour que l’information soit transmise correctement », insiste le médecin qui propose que les ministères de la Santé, de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique œuvrent ensemble à des programmes de sensibilisation, ou établissent des conventions avec les ONG concernées.

Une suggestion que soutient l’ATL qui estime essentiel de créer une culture de la sexualité pour dissiper les malentendus et les amalgames autour de ces questions. Il s’agit aussi de lever les tabous et de corriger la faiblesse de la prévention, un autre point commun aux pays maghrébins au point que différentes associations ont décidé d’établir un programme dans toute la région Afrique du Nord-Moyen Orient.

Source : Frida Dahmani , Economics for Tunisia: E4T