Suisse

«Je me sens bien dans ma peau. Je suis une femme, je peux être moi-même»

La grève des femmes, en tant que journée nationale de protestation, a déjà beaucoup fait bouger la politique suisse. La nouvelle édition de cette année s’appelle la grève féministe et inclut explicitement les revendications de la communauté LGBTQIA+. Keystone / Anthony Anex

Pendant 37 ans, Franziska Roten a vécu une vie d’homme, puis elle a changé de sexe. Qu’est-ce que cela signifie d’être une femme trans, en termes d’écart de genre, d’image des rôles?

Ce contenu a été publié le 14 juin 2023




rapportLien externe sur les crimes de haine contre la communauté LGBTQ montre que les personnes trans sont particulièrement touchées par la discrimination. Cela vous surprend-il?

Pas du tout. Je m’attends à ce que la situation soit encore pire. C’est une année électorale, la droite peut très bien exploiter le sujet. On peut construire une image de l’ennemi qui suscite beaucoup d’émotions négatives.

A propos de Franziska

Franziska Roten (40 ans) a fait un burnout à l’âge de 37 ans, qui l’a conduite à un séjour en clinique où elle a été traitée pour dépression et tendances suicidaires. Jusqu’à ce moment-là, elle vivait en tant qu’homme, avait une femme et des enfants. Toute sa vie, elle a eu le sentiment que quelque chose n’allait pas chez elle. Lors d’une thérapie, elle a exprimé pour la première fois ce qu’elle ressentait depuis longtemps: «Je pense que je me sentirais mieux en tant que femme». En janvier 2022, elle a fait modifier son inscription de genre et depuis, elle est Franziska. Elle est séparée de sa femme, mais elles entretiennent une relation amicale. Sa nouvelle partenaire est également trans. Franziska Roten travaille comme développeuse de logiciels et s’engage entre autres pour le Transgender Network Switzerland.

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Est-ce que cela s’aggrave aussi parce qu’il y a de plus en plus de personnes trans?

Je refuse de dire qu’il y a plus de personnes trans. Nous devenons simplement plus visibles. Nous sommes en 2023 et les gens osent dire: «Je ne suis pas comme la norme sociale voudrait que je sois».

Pourquoi les personnes trans sont-elles si souvent victimes de crimes haineux?

Nous sommes probablement tout simplement si différents et apparemment encore plus difficiles à comprendre – par rapport aux autres personnes qui ne correspondent pas à la norme sociale. Nous remettons en question quelque chose qui a été inculqué à tous depuis l’enfance: Il y a des hommes et des femmes biologiques, rien de plus. Et maintenant, il y a des gens qui disent que ce n’est pas vrai, il y a aussi une identité de genre. Il est évident que de nombreuses personnes ne peuvent pas s’en accommoder.

De 0,5 à 3% de la population

Depuis janvier 2022, les personnes trans en Suisse peuvent faire modifier leur inscription de genre et en même temps leur prénom en se rendant à l’état civil. L’année dernière, 1171 personnes ont changé leur inscription de genre en Suisse. Le nombre de personnes trans vivant en Suisse n’est pas officiellement recensé. Les estimations divergent, allant de 0,5 à 3% de la population, comme le note le Transgender Network Switzerland.

L’Organisation suisse des lesbiennes (LOS), Transgender Network Switzerland (TGNS), Pink Cross et la LGBTIQ-Helpline ont publié en mai le dernier rapport Hate Crime. Celui-ci retient un nombre d’attaques et de discriminations contre les personnes LGBTIQ qui n’a jamais été aussi élevé: 134 ont été signalées en 2022. Près d’un tiers des incidents concernaient des personnes trans.

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Avez-vous déjà été personnellement victime de discrimination?

Oui, par exemple à la gare de Lucerne. J’ai été agressée par un groupe qui m’a tenu des propos stupides. Je ne sais pas ce qui se serait passé si je ne m’étais pas enfuie. Sur mon ancien lieu de travail, j’ai fait un burnout avant ma transition. Je suis revenue en tant que Franziska, ce qui avait été convenu avec le chef et la direction de l’équipe.

Mais cela ne convenait pas à tout le monde. Une personne a refusé de me délivrer un compte informatique à mon nouveau nom. Un nouveau chef d’équipe a exprimé son problème avec moi en jugeant mon travail insuffisant. Avant cela, mes performances n’avaient jamais posé de problème. Heureusement, j’ai maintenant un nouveau travail.

Avez-vous eu du mal à trouver un nouvel emploi ?

J’ai postulé normalement pour des emplois. D’après d’anciens certificats, il est évident que j’ai vécu auparavant sous un autre nom. J’ai ajouté une mention correspondante lors de ma candidature.

Mais sinon, je n’en ai pas fait un sujet de discussion et on ne m’a jamais posé la question. Là où j’ai postulé, cela n’a intéressé personne. Je me rends régulièrement chez des clients et le thème de la trans n’a jamais été abordé.

Cette année, vous avez été candidate au Grand Conseil lucernois, comment avez-vous vécu cette expérience?

Étonnamment, j’ai obtenu pas mal de voix et le fait que je sois trans n’a pas posé de problème. Il s’agissait d’une circonscription rurale, Lucerne est un canton archi-conservateur. Je m’attendais au pire. Comme par exemple des e-mails injurieux, des remarques désagréables dans la rue ou lors de tables rondes. Mais rien de tout cela n’est arrivé. Je suis très agréablement surprise. Cela me donne de la force pour continuer à m’engager.

Franziska Roten tenant un discours. Franziska Roten

Pensez-vous qu’il existe en Suisse un écart de genre entre les personnes trans et cisgenres (les personnes dont le genre déclaré correspond à leur sexe à la naissance déclarée)?

Oui, sans aucun doute. Le taux de chômage des personnes trans est significativement plus élevé que celui des personnes cis.

Qu’en est-il de la recherche d’un logement, avez-vous déjà été victime de discrimination depuis votre transition?

J’ai cherché et trouvé mon logement actuel sous mon ancien nom. Je n’ai donc pas d’expérience dans ce domaine. Mais je vais bientôt pouvoir le faire. J’ai l’intention d’emménager avec ma partenaire. Deux femmes trans à la recherche d’un logement, nous verrons comment cela sera perçu.

Votre style vestimentaire est frappant. Aviez-vous une idée visuelle de Franziska avant votre transition?

(Elle réfléchit, cherche ses mots)

Votre ancien moi avait-il aussi son propre style vestimentaire?

Non. Il ne comprenait rien à la mode, il s’en fichait complètement. Il n’y avait rien de beau sur mon corps à l’époque. Je n’y faisais pas spécialement attention. Mon style, tel que je le présente aujourd’hui, s’est imposé petit à petit. Je vis une sorte de deuxième puberté, pendant laquelle je découvre mon vrai moi. Au sens littéral aussi, grâce à mon traitement hormonal.

Vous êtes-vous réjouie des choses que vous pouvez faire maintenant en tant que femme?

J’ai l’impression de ne plus avoir honte parce que je montre mon côté féminin, ou plutôt ce qui est perçu comme féminin. Je devais le réprimer jusqu’à présent.

Qu’avez-vous dû réprimer?

Ce que je dis, comment je parle. Peut-être que je parle de manière plus fleurie en tant que femme, plus chantante. Avant, j’évitais activement cela et j’essayais de paraître plus masculine. Ma perception me disait que je n’étais pas assez masculin. A l’école, j’étais aussi harcelé parce que j’étais différent. J’ai alors pris l’habitude de me comporter comme on l’attendait de moi.

Aujourd’hui, je suis vraiment contente de pouvoir faire ce qui me convient. Je porte par exemple les vêtements que je veux. C’est lié au fait que je me sens bien dans ma peau. Je suis une femme, je peux être moi-même. En même temps, mon style n’a rien à voir avec mon identité sexuelle en tant que femme. Mes vêtements représentent ma personnalité et mon style, qui peuvent être féminins, mais pas nécessairement.

Qu’est-ce qui a changé d’autre dans votre personne?

La transition a eu des répercussions sur beaucoup de choses, même mes préférences – de la nourriture à la sexualité – ont changé. Aujourd’hui, j’aime le pamplemousse, alors qu’avant je ne pouvais pas en manger. Mon comportement a également changé.

Avant, je piquais souvent une crise quand quelqu’un m’énervait. Cela n’a pas complètement disparu, mais aujourd’hui, c’est une autre qualité d’énervement. Je suis plus calme. C’est peut-être lié aux hormones, peut-être aussi au fait que je suis plus satisfaite de moi-même.

Pas avec le fait qu’il ne convient pas à une femme de crier comme ça?

Absolument pas. Je ne crois pas à ces images classiques du genre. J’aime bien jurer, plus autant qu’avant, mais je le fais toujours. On m’a aussi déjà dit ‘les femmes ne jurent pas autant’, cela m’est égal. Existe-t-il un modèle ou une norme sur la manière dont les femmes doivent se comporter?

Les hormones sont le meilleur antidépresseur que j’ai jamais reçu et j’entends cela de la part de tant de personnes trans. Cela conduit logiquement à un changement de comportement.

Mais la préférence dans le choix des partenaires n’a pas changé?

Beaucoup de gens me demandent si j’aime les hommes maintenant. Quand je leur dis que je continue à préférer les femmes, ils sont parfois perplexes.

Peut-on passer à 100% d’un sexe à l’autre?

Je ne pense pas qu’on puisse le dire de manière aussi générale. Si je me compare à avant, je suis tellement plus féminine. Mais ce n’est pas nouveau, je l’ai simplement réprimé auparavant. De l’extérieur, on a l’impression que j’ai tout tourné à 100 %, mais en moi, il n’en a jamais été autrement. Je devais me masquer, je devais toujours me ressaisir et faire semblant. Je n’ai pas changé de sexe, je vis simplement ce que j’ai toujours été.

Relu et vérifié par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Kessava Packiry

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