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Le manque de main-d’œuvre, un danger pour la transition écologique allemande

Nous ne refusons pas de projets mais nous ne savons jamais quand nous pourrons les mettre en œuvre”, nous explique-t-il. “Nous avons des contrats pour plus d’une année mais nous manquons de personnel et de matériel. Les clients doivent donc attendre. Ce n’est pas agréable mais nous ne pouvons rien y changer”, commente-t-il encore.

Deux millions de postes vacants

Karl Zrost est loin d’être un cas particulier en Allemagne. Ce pays de 84 millions d’habitants, première économie d’Europe, fait face depuis des années à une pénurie de main-d’œuvre, dans tous les domaines, liée entre autres au vieillissement de sa population. “On compte deux millions de postes vacants et ce chiffre devrait atteindre les cinq millions dans quelques années”, constate Marcel Fratscher, directeur du Centre pour l’économie allemande de Berlin (DIW). “Cela concerne tous les secteurs et tous les métiers et, pour certaines entreprises, c’est une question existentielle.

Le secteur des énergies renouvelables sur lequel les autorités allemandes tablent pour réussir la transition écologique du pays est loin d’être épargné. Actuellement, il manque déjà 216 000 salariés dans le solaire et l’éolien. Un problème de taille, alors que Berlin fermera ses trois dernières centrales nucléaires le 15 avril et qu’elle prévoit la fin du charbon, “dans l’idéal”, d’ici à 2030.

À la fédération allemande des énergies renouvelables, on essaie de voir le vide à moitié plein. “J’évite de parler de manque de main-d’œuvre; je préfère évoquer les opportunités d’emploi de notre secteur”, nous explique Wolfram Axthelm, le directeur général de cette fédération. “Nous avons besoin de sous-traitants, de personnel dans la logistique, dans la production ainsi que dans la maintenance. Nous cherchons des gens partout et devons le faire savoir. Les perspectives économiques dans ce secteur sont très bonnes pour les 25 prochaines années au moins”, énonce-t-il. “Il y aura des pertes d’emplois dans le secteur du charbon et du nucléaire, ainsi que dans l’automobile qui passe à l’électrique mais le passage vers les renouvelables est tout à fait possible pour ces salariés.”

Le gouvernement envisage le modèle canadien

Alors que la concurrence entre secteurs d’activité ne cesse d’augmenter pour attirer du personnel, une des solutions envisagées par les autorités allemandes est de miser davantage sur la main-d’œuvre étrangère. Le gouvernement d’Olaf Scholz a validé il y a une dizaine de jours en conseil des ministres une proposition de loi visant à faciliter l’immigration étrangère avec la mise en place d’un système à points sur le modèle canadien. La loi devrait être votée d’ici à l’été.

Plutôt bien accueillie par les intéressés sur le terrain, elle ne leur semble toutefois pas être la solution miracle. “Nous allons bien sûr profiter de cette nouvelle loi”, note Wolfram Axthelm. “Nous avons déjà beaucoup de salariés étrangers et notre besoin en main-d’œuvre est énorme. Mais ce qui nous bloque le plus est la difficulté à faire reconnaître les diplômes étrangers. Il nous faut reconnaître les diplômes rapidement, sinon les candidats iront dans d’autres pays. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Or, cette loi ne résout pas le problème”, avertit le directeur général de la fédération des énergies renouvelables.

guillement

Nous avons déjà beaucoup de salariés étrangers et notre besoin en main-d’œuvre est énorme.

Karl Zrost, non plus, ne crie pas au miracle. “Nous cherchons depuis longtemps du personnel à l’étranger via des agences en Inde et, avant la guerre, en Ukraine. En pratique, toutefois, on constate l’importance d’avoir du personnel local qui connaisse bien la langue, le cadre et les normes du travail dans un secteur très codifié. L’immigration étrangère n’est donc pas une solution pour le court terme”, juge cet entrepreneur.

Le temps presse toutefois dans le secteur d’avenir que sont les énergies renouvelables qui se sont vues attribuer des objectifs très ambitieux. D’ici à 2030, l’Allemagne veut produire ainsi 80 % de son électricité, contre moins de 50 % actuellement. “Le problème lié au manque de main-d’œuvre n’est pas tant que la transformation écologique de l’Allemagne échoue mais qu’elle n’aille pas assez vite et que le pays rate encore ses objectifs climatiques”, observe Marcel Fratscher, du centre économique DIW. “Ce manque de main-d’œuvre crée aussi le risque que les entreprises allemandes soient moins compétitives que les États-Unis et la Chine en matière d’énergies vertes”, ajoute-t-il. Un risque dont les représentants du secteur sont conscients mais sur lequel ils estiment avoir peu de marge de manœuvre, sans personnel à portée de main.