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La Russie annonce de nouveaux missiles nucléaires redoutables : « Poutine est prisonnier de son discours »

Que faire de cette annonce ? Est-elle crédible ? Que dit-elle de l’armée russe et de ses ambitions ? La Libre a contacté Alain De Neve, chercheur français spécialisé dans les questions relatives aux développements technologiques en matière de défense au sein du Centre d’études de sécurité et défense (CESD). Décryptage en cinq questions.

1. Avec quel niveau de sérieux doit-on prendre cette annonce ?

Toutes les annonces de nouveaux armements russes doivent être prises avec beaucoup de précautions. Premièrement, parce que l’expérience du missile RSM-56 Boulava – qui doit être remplacé par l’arme récemment annoncée – a été très chaotique. La Russie met évidemment toujours en avant un certain nombre de performances exceptionnelles, et certains essais ont effectivement abouti, mais il y a eu de nombreux autres qui se sont révélés peu concluants. Ce missile n’a heureusement jamais été employé durant des opérations de combat.

Deuxièmement, parce que ce n’est actuellement qu’un projet sur papier. C’est un développement qui prend du temps. Les Russes, eux-mêmes, savent probablement peu de choses sur ce missile aujourd’hui. Ils annoncent un délai de trente ans. On peut miser sur quarante, parce qu’il y a toujours des surcoûts et des retards dans la production de ce type d’engins.

En outre, il faudra que les Russes expliquent comment ils comptent financer une nouvelle gamme de missiles et puis une nouvelle classe de sous-marin, parce qu’ils devront d’office réfléchir aux successeurs du sous-marin Boreï pensé en même temps que le RSM-56 Boulava. La Russie peut peut-être contourner une partie des sanctions économiques qui la visent en ce moment, mais ce sera tout de même compliqué.

2. Que sait-on de ce missile ?

Tout ce que l’on sait a priori, c’est que les erreurs qui ont été rencontrées lors de la production du RSM-56 Boulava devraient, cette fois-ci, être évitées. À l’époque, les Russes ont voulu développer à la fois un nouveau sous-marin à propulsion nucléaire, le Boreï, et le missile qui lui était destiné, le RSM-56 Boulava. C’était évidemment très délicat de conduire ces deux projets en même temps parce que le développement de l’un dépend de l’autre. Cette double ambition a causé un nombre important de surcoûts et de retards. On ne connaît pas encore la classe de sous-marin qui devrait propulser les nouveaux missiles annoncés.

3. Les pays de l’Otan doivent-ils s’inquiéter ?

C’est tentant de dire que tout ce qui provient actuellement de la Russie peut représenter une menace. Mais, pour le moment, ce projet de missile, c’est juste un effet d’annonce.

Il faut garder cette ambition russe dans notre ligne de mire, et je suis certain que les états-majors des pays de l’Otan le feront. Mais dans la mesure où il n’y a rien d’opérationnel, cette déclaration du ministère russe de la Défense n’est pas une menace. Ce serait un contresens de l’affirmer. C’est juste une feuille de route que se donne la Russie.

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4. Pourquoi investir dans un missile qui ne sera pas prêt avant trente ans, alors que la Russie est actuellement engagée dans une guerre ?

Pour le moment, la Russie démontre qu’elle est plutôt en deçà de ce qu’on attendait d’elle en termes de puissance de feu. Avec cette annonce, Poutine tente de pallier l’absence de résultats sur le terrain des opérations militaires en Ukraine.

Le président russe et l’ensemble de son oligarchie ont l’habitude d’annoncer des “superarmements”, comme des missiles supersoniques ou des torpilles à supercavitation. Il faut bien comprendre que plus les performances annoncées de ces superarmements sont élevées, moins elles ont de chances d’être utilisées, moins Poutine a de risque d’être décrédibilisé à cause de leurs performances.

Poutine est prisonnier de son discours. Étant donné qu’il a toujours fait des annonces impressionnantes pour maintenir un certain aspect dissuasif, il ne peut plus changer de ton, même si c’est la crise.

Mais cette annonce s’inscrit aussi dans la logique de la modernisation d’une force de dissuasion nucléaire nationale. Pour que cette dissuasion soit efficace, il faut prévoir des jalons de modernisation. Poutine n’a pas le choix. Il doit montrer qu’en dépit de la guerre menée en Ukraine, la Russie est capable de maintenir son calendrier de modernisation, en pensant de nouveaux missiles. Il veut maintenir sa position sur la scène internationale.

5. Dans l’immédiat, ces missiles servent donc plus à maintenir la réputation de la Russie sur la scène internationale qu’un agenda à long terme ?

C’est un peu les deux. Poutine doit nécessairement avoir un agenda à long terme pour prévoir le remplacement d’une gamme de missiles. Il ne peut pas faire autrement. Il en profite pour placer un effet d’annonce un peu grandiloquent pour rappeler que la Russie se maintiendra comme puissance nucléaire fondamentale.

Il ne faut pas oublier que Vladimir Poutine a décidé de suspendre l’application du traité New Start, passé avec les États-Unis. Ce qui signifie que normalement la Russie a la possibilité “légale” d’augmenter son arsenal nucléaire, donc ses gammes de missiles. Ce serait un peu bizarre qu’elle suspende l’application de ce traité, sans en même temps décider la modernisation de son arsenal nucléaire.

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