International

La législation sur la restauration de la nature, enjeu d’une féroce bataille politique européenne

Celui-ci propose de restaurer 30 % des écosystèmes terrestres et marins dégradés de l’Union européenne d’ici 2030 — un objectif plus ambitieux que celui de 20 % fixé par la Commission, afin d’être raccord avec l’accord international conclu en novembre dernier à la conférence de Montréal sur la biodiversité.

Les conservateurs du PPE appellent au rejet du texte

L’issue de la réunion ne pourrait pas être plus incertaine, en raison de l’attaque en règle menée par les conservateurs du Parti populaire européen, premier groupe de l’hémicycle en nombre d’élus, tant contre la proposition de la Commission que contre le texte de compromis. L’Allemand Manfred Weber, président du PPE a annoncé la couleur, mardi à Strasbourg : “Ce texte législatif est tout simplement une mauvaise proposition. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement pour appeler à un rejet du texte et demander à la Commission de venir avec une nouvelle proposition”.

guillement

Ce texte législatif est tout simplement une mauvaise proposition. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement pour appeler à un rejet du texte et demander à la Commission de venir avec une nouvelle proposition ».

Selon les conservateurs, la législation augmenterait le fardeau des agriculteurs, déjà occupés à mettre en œuvre la réforme de la Politique agricole commune et menacerait la production alimentaire dans l’Union. Le PPE vise particulièrement la proposition de consacrer 10 % des terres cultivables à la biodiversité à l’échelle européenne — même s’il ne s’agit pas, comme l’avancent les conservateurs, d’abandonner 10 % des terres cultivables mais de planter des arbres, des haies, de créer des étangs… dans les exploitations agricoles.

La proposition d’Alexander De Croo de faire une pause dans l’adoption des réglementations environnementales fait écho à la position des conservateurs européens

Les socialistes et démocrates (S&D), les Verts et la Gauche ne décolèrent pas. “Cette loi est un élément essentiel du Green deal (la stratégie européenne pour la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement, NdlR). Réduire les émissions de CO2 ne sera possible que si nous favorisons la restauration de la nature”, insiste Terry Reintke, coprésidente du groupe des Verts. Qui démonte l’argument selon lequel la législation nuirait aux fermiers. “Si vous voulez des fermiers et des cultures prospères, vous avez besoin de sols et d’eaux sains, de pollinisateurs, d’une nature en bon état”.

”Une attaque contre le Green deal”

Alors que 81 % des écosystèmes sont endommagés dans l’UE, le PPE nous dit qu’en restaurer 20 % ça va trop loin ? C’est ridicule”, pestait mardi le député Mohammed Chahim (S&D). Selon le Néerlandais, le texte de compromis a pris en considération toutes les préoccupations des conservateurs de façon à lever leur opposition. Sans résultat.

L’impression qui prévaut dans les couloirs du Parlement européen, est que l’opposition du PPE tient au moins autant à des raisons de positionnement électoral, à un an des européennes, qu’à des questions de fond. “Le PPE et l’extrême droite ont décidé d’en faire un symbole de leur opposition au Green Deal. Et comme c’est compliqué de jouer l’obstruction sur les sujets climatiques, ils le font sur les sujets environnementaux. Weber se forge une image de “naturosceptique”, cingle l’eurodéputé français Pascal Canfin (du groupe libéral Renew Europe), président de la commission Envi.

« Opposer la lutte contre le changement climatique et la protection de la nature n’a pas de sens »

Pascal Canfin accuse l’Allemand de faire pression sur les membres de son groupe, en désaccord ou dubitatifs vis-à-vis de sa position, pour qu’ils votent contre le texte. “Qu’il le prouve”, gronde Manfred Weber, appelant son collègue à se préoccuper davantage de l’unité du groupe Renew, très divisé sur le sujet.

La semaine dernière, l’eurodéputée PPE allemande Christine Schneider pointait, elle, un doigt accusateur contre le vice-président de la Commission en charge du Green Deal, Frans Timmermans, coupable selon elle d’avoir fait pression sur les eurodéputés opposés à la loi sur la restauration de la nature en menaçant de retirer une proposition sur les nouveaux OGM, chère au PPE. C’est d’ailleurs un point sur lequel le PPE et M. Canfin se rejoignent : la Commission, jugent-ils, aurait mieux fait de présenter un paquet de législation, comprenant la restauration de la nature, celle sur l’usage des pesticides, sur les nouveaux OGM, à la façon de ce qu’elle a fait pour le paquet “Fit for 55” riche de douze propositions liées aux objectifs de réduction de gaz à effet de serre en 2030.

Le suspense est total

Le PPE est déjà parvenu à couler le texte dans les commissions Agriculture et Pêche, consultées pour avis, avec l’appui des eurosceptiques des Conservateurs et réformistes européens (ECR), de l’extrême droite, et d’une partie des libéraux du groupe Renew. Le vote en Envi s’annonce incroyablement serré et on se perd en conjectures quant aux possibles scénarios.

Si l’amendement de rejet du PPE passe, il est très probable que la plénière de juillet confirme ce rejet, si elle décide de se prononcer sur le sujet. La Commission sera bien forcée de refaire une proposition, même si elle s’y refuse actuellement. Si le texte est adopté, il fera encore l’objet d’intenses négociations avant la plénière pour arrêter la position du Parlement en vue des discussions avec les États membres. On pourrait aussi arriver à un match nul de 44 votes pour, 44 contre… avec un texte de Schrödinger, ni rejeté, ni adopté, sur lequel la plénière ne pourrait pas se prononcer. “C’est peut-être le premier texte du Green deal qui tombe”, avertit Pascal Canfin, ce qui serait, selon lui, de mauvais augure, alors qu’il en reste une vingtaine à adopter d’ici la fin de la législature.

La nervosité gagne le Conseil

La nervosité observée au Parlement européen gagne les États membres. Certains d’entre eux, comme la Pologne, sont ouvertement hostiles à la proposition de la position. Il y a quelque temps, le président français Macron et le Premier ministre belge De Croo ont chacun plaidé pour faire une pause dans l’adoption des réglementations environnementales européennes – même si le premier parlait des législations à venir, et le second de celles en cours de négociations, dont celle sur la restauration des écosystèmes.

La présidence suédoise du Conseil a proposé ce mercredi aux ambassadeurs des Vingt-sept de repousser le vote sur le texte, prévu pour la réunion des ministres de l’Environnement du 20 juin, prétextant que les esprits ne sont pas mûrs. L’Allemagne, la France, l’Espagne et le Luxembourg l’ont prié de ne rien en faire et ont reçu l’appui d’une vingtaine de pays. Dont celui de la Belgique, qui s’est joint à eux par la voix de la ministre Petra De Sutter (Groen). Mais le Conseil votera-t-il sur un texte qui aurait été rejeté par le Parlement ? Faites vos jeux…