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Florence se transforme en immense réserve de locations Airbnb : “Il n’y a pratiquement plus de résidents dans la vieille ville”

À Florence, un immeuble sur trois abrite des locations brèves pour touristes”, explique Giulio Gori, un journaliste du Corriere fiorentino qui a écrit différents articles sur la question après avoir lui-même vécu quelques mésaventures. “Je suis assiégé : J’en ai un sur mon palier et un autre au-dessus de mon appartement”, détaille-t-il en nous accueillant dans son studio situé dans le centre historique. “Une fois j’ai dû passer une partie de la nuit dehors, car des touristes espagnols avaient fermé le loquet de la porte intermédiaire, je ne pouvais plus rentrer chez moi. J’ai été obligé d’appeler les pompiers car les touristes ne répondaient pas à la sonnette.” Immondices dans les escaliers, appartement inondé à plusieurs reprises à cause de touristes américains qui prennent des douches infinies… Tous les habitants de Florence ont sur le sujet des anecdotes plus ou moins drôles. “Mais le pire c’est la fuite des habitants, estime Giulio Gori. Désormais il n’y a pratiquement plus de résidents dans le vieux Florence, nous sommes comme les Indiens d’une réserve.”

La dérive du système

Selon le site Inside Airbnb, un projet de plaidoyer qui a créé une base de données pour analyser l’impact de ces locations brèves sur les communautés urbaines, il y a 18 167 propositions d’Airbnb à Florence. Près de 80 % de ces offres en ligne sont des appartements entiers situés dans le centre historique, étendu sur une surface de trois kilomètres carrés.

Pendant la pandémie, les amateurs d’art ont pu mieux profiter de Florence

Les chambres proposées en location par les habitants ne représentent qu’une offre sur cinq. L’analyse des chiffres montre ainsi la dérive d’une plateforme Internet imaginée au départ pour les particuliers mais devenue en quelques années le cheval de Troie de sociétés qui s’occupent de milliers de locations. Ainsi à Florence, une vingtaine d’hôtes s’occupent de plus de mille logements.

Sur la plateforme Airbnb, “Edoardo et Michela” sont les plus actifs. Ils proposent 177 locations, mais derrière les prénoms de ce couple se cache en réalité la société Homes in Florence. Les bureaux de cette petite entreprise sont situés près du Palais Pitti. Dans un espace réduit, cinq jeunes femmes face à des ordinateurs répondent aux touristes du monde entier qui veulent louer un logement dans la ville toscane. Au mur des centaines de clefs d’appartements sont suspendues. Les deux associés que nous contactons refusent la demande d’interview.

Même les logements d’étudiants

”C’est devenu impossible de trouver un appartement à louer pour une famille à Florence”, déplore Fabio Venneri Buono, un agent immobilier. “Ces sociétés sont à l’affût dès qu’un appartement est mis sur le marché des locations et les rendements pour les propriétaires sont beaucoup plus élevés”, précise-t-il. La possibilité d’empocher entre 3 000 à 4 000 euros par mois est évidemment alléchante. “En septembre j’avais reçu le mandat de la propriétaire d’un immeuble qui voulait le louer aux étudiants de l’université, se rappelle-t-il. J’ai reçu des appels, des mails, venant d’autres villes italiennes et même de Suisse, pour me demander si le contrat prévoyait la sous-location. C’était clairement des pseudo-étudiants qui voulaient sous-louer aux touristes pour se faire de l’argent.”

Outre le départ des familles vers les périphéries, la prolifération des Airbnb provoque une hausse des prix des loyers dans toute la ville. “Pendant le Covid, quand les touristes avaient disparu, les propriétaires avaient accepté des contrats de location pour certaines familles. Mais à présent ces personnes reçoivent leur renom pour remettre l’appartement sur le marché des touristes. Il y a une centaine d’expulsions par mois, et donc bientôt nous aurons beaucoup plus d’Airbnb qu’avant la pandémie.”

Une loi pour Venise mais pas pour Florence

L’an dernier le Parlement italien a voté un amendement pour permettre à Venise de réglementer les locations brèves pour les touristes. Le maire de Florence, Dario Nardella, demande une loi nationale pour toutes les villes. “Nous demandons une loi qui nous permette d’intervenir. En limitant le nombre de nuitées et en agissant sur les taxes. Si une personne a une chambre ou un appartement à louer, c’est juste qu’elle soit taxée comme personne privée. Mais si une société propose des centaines d’appartements alors elle doit être taxée comme les hôtels, sinon c’est de la concurrence déloyale”, s’emporte le maire. Et de demander aux parlementaires florentins d’agir avant que la ville ne se transforme en parc d’attractions de la Renaissance, une ville pleine de touristes mais sans habitants.