International

Emmanuel Macron est désormais “prisonnier de l’Elysée”

A votre avis, de quel œil Emmanuel Macron voit-il les quatre années à venir ?

Son horizon est complètement bouché. Il termine l’épisode des retraites très fragilisé et avec assez peu de marges de manœuvre et de possibilités de rebond. Toutes les tentatives de relance de son quinquennat semblent compromises. D’autant qu’il n’utilise pas les cartes habituelles comme un changement de Premier ministre, par exemple. On peut survivre à l’Elysée, mais au risque de devenir un “roi fainéant”, comme Nicolas Sarkozy l’avait dit de Jacques Chirac. Tout déplacement sur le terrain à la rencontre des Français lui est en outre déconseillé car il risquerait d’être pris à partie et invectivé. Donc, il est prisonnier de l’Elysée et sa relation directe et physique avec la foule, le peuple, s’en trouve abîmée.

Pr Christian Le Bart.
Pr Christian Le Bart. ©DR

Dans son allocution télévisée le 17 avril, le président a pourtant évoqué plusieurs chantiers (le travail, la justice et l’ordre républicain) pour tenter de tourner la page des retraites. Y parviendra-t-il ?

Le problème, c’est qu’Emmanuel Macron n’a plus de capacité d’entraînement. La promesse du macronisme était à la fois de dépasser les clivages et d’être toujours en mouvement. “En marche”, disait-il. Il voulait attirer à lui beaucoup de cadres politiques et séduire l’opinion publique. Mais il a échoué. Il n’a pas réussi à faire vivre son parti -le souhaitait-il seulement ?- et aujourd’hui, il reste l’homme qui bouge mais il n’entraîne plus. Pour reprendre l’une de ses expressions fétiches, le “premier de cordée” grimpe mais plus personne ne tient la corde. Le macronisme a toujours été une entreprise individuelle, construite à son nom et à sa mesure. Mais il tourne désormais à l’aventure solitaire. C’est la fuite en avant.

Pour se donner un peu d’air, Emmanuel Macron se fixe un calendrier très serré

Qu’en est-il du cap des 100 jours qu’il a fixé ?

Il donne un calendrier, il fixe des objectifs et des délais dans une logique managériale dont il est coutumier. Mais cette rhétorique tourne à vide car il fait le coup à chaque fois. Il demande à sa Première ministre Elisabeth Borne de recoudre un tissu qu’il a lui-même déchiré, de surcroît en l’espace d’un trimestre seulement. C’est mission impossible.

Comment peut-il sortir de l’impasse ?

Il dispose d’outils, notamment de la Constitution de la Ve République, pensée au bénéfice du chef de l’Etat. Il peut continuer à s’adosser sur une majorité parlementaire, même relative, et peut jouer de ses pouvoirs diplomatiques à l’international. Mais il ne pourra pas passer de nouveau en force sur d’autres sujets. Sa seule “chance”, si je puis dire, c’est qu’un événement extérieur, comme des tensions internationales, vienne balayer la séquence des retraites et permette de passer à autre chose. Mais sa capacité à redistribuer lui-même les cartes est limitée. Et la fin de son mandat risque d’être marquée par des querelles de succession. Gérald Darmanin et Bruno Le Maire vont s’écharper, Edouard Philippe est en embuscade et les députés Renaissance se soucieront surtout de leur réélection.

Est-ce qu’Emmanuel Macron va s’occuper de sa succession ?

Il est encore très jeune, il va certainement être attentif à la gestion de son héritage. Mais son pouvoir d’adoubement d’un éventuel dauphin tournera court s’il termine son mandat avec 20 % d’opinions favorables [NdlR : il a perdu 10 points d’opinions favorables, à 28 %, depuis le début de l’année. Son score le plus faible depuis mai 2019, selon le dernier baromètre Ipsos-Le Point]. Cela ressemblerait davantage au baiser de Judas qu’au sésame pour gagner. Personne ne se bousculera pour figurer sur la photo à ses côtés. Il risque de terminer son mandat encore plus seul.

Et après l’Elysée, quelle reconversion peut-il envisager ?

Il se trouvera dans une situation tout à fait inédite, celle d’un ancien président très jeune. Il aura tout juste 49 ans en 2027, même Valéry Giscard d’Estaing en avait 55 à la fin de son mandat en 1981. Je ne le vois pas faire de politique active dans une obscure mairie de province. Il officiera sans doute à l’international, ou bien il partira dans le privé.


Le Rassemblement National, grand gagnant de la crise des retraites ?

Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, a analysé, à partir de données d’opinion, la manière dont le Rassemblement national bénéficie des crises sociales et politiques en cours. Si de nouvelles élections législatives devaient avoir lieu demain, les intentions de vote pour la formation de Marine Le Pen augmenteraient de 7 points (de 19 à 26 %) par rapport aux résultats de juin 2022. “Le mouvement des gilets jaunes avait largement bénéficié au RN, les intentions de vote pour la liste d’extrême droite aux européennes de 2019 augmentant de 4 points entre le début et la fin du mouvement. Cette fois, l’envolée du RN est encore plus spectaculaire”, souligne le politologue.

Dans le même temps, la Nupes reste stable à 26 %. “Pour autant, il existe des fluctuations internes à la coalition de gauche qui montrent un rééquilibrage des forces en faveur du Parti socialiste et d’Europe Écologie-Les Verts et au détriment de La France insoumise”, poursuit Antoine Bristielle, qui précise que la Nupes devient la formation politique préférée des cadres, devant Renaissance. Emmanuel Macron a décidément du souci à se faire…