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Comment le président Kais Saïed veut renflouer les caisses de la Tunisie, sans avoir à recevoir l’aide du FMI

Depuis un an, le gouvernement tunisien négocie avec le Fonds monétaire international (FMI) l’obtention d’un prêt d’un montant de 1,9 milliard de dollars (1,7 milliard d’euros), pour lequel elle a obtenu un accord de principe à la mi-octobre. Mais le président Saïed renâcle à contracter ce prêt, refusant de se retrouver pieds et poings liés aux conditions posées par l’institution de Washington – qu’il a qualifiées ce mois-ci de “diktats de l’étranger”. Selon lui, ces contreparties vont à coup sûr soumettre son pays à une austérité nouvelle, et y accroître la paupérisation et les inégalités. Pour obtenir le prêt envisagé, Tunis devrait restructurer une bonne centaine d’entreprises publiques dont l’endettement pèse lourd dans les comptes de l’État, de même que supprimer les subventions sur les produits de base, socle du contrat social.

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Aucune alternative

Ces conditions risquent de réduire encore le pouvoir d’achat des Tunisiens, alors que les classes inférieure et moyenne ont déjà bien écopé depuis la révolution de 2010-11. “Tout le système est basé sur la modération salariale, qui fait de la main-d’œuvre tunisienne l’une des moins chères du bassin méditerranéen, et sur des compensations sous la forme de subventions publiques sur certains produits. Une remise en cause de ce pacte social dans un contexte de crise pourrait accroître le risque d’une explosion sociale”, explique l’essayiste Hatem Nafti, auteur de plusieurs essais sur l’évolution du pays depuis la révolution, dont Tunisie. Vers un populisme autoritaire (Riveneuve, 2022).

Le chef de l’État laisse pourtant son gouvernement négocier avec le FMI. Du 11 au 16 avril, le ministre de l’Économie et de la Planification, Samir Saïed, était à Washington, mais rien n’a filtré depuis son retour. En décembre, celui-ci avait déclaré qu’aucune alternative n’existait à la conclusion d’un accord effectif avec le FMI, considéré comme un prélude à l’obtention d’autres aides dans un cadre bilatéral.

Mais que redoute surtout le président Saïed dans les aides externes, c’est que sa vision souverainiste aux accents nationalistes et complotistes ne tienne pas face à celle des technocrates, locaux ou internationaux. Ce professeur de droit constitutionnel élu à la présidence fin 2019, sur base d’une rhétorique populiste, est un partisan d’un pouvoir plus direct “par le peuple et pour le peuple”, dénonçant le système de représentation politique et la corruption des élites. C’est précisément ce qu’il dit mettre en œuvre, à marche forcée, depuis qu’il a déclaré l’” état d’exception” le 25 juillet 2021, grâce auquel il a réussi à concentrer entre ses mains l’essentiel des pouvoirs et à remodeler la Constitution de 2014.

Rente des phosphates

Fort de la réputation d’être peu porté sur la chose économique, Kais Saïed se dit convaincu que la Tunisie peut s’en tirer seule, sans avoir à recourir à des aides extérieures. Parmi les idées permettant de se passer des prêts internationaux, il souhaite relancer l’industrie du phosphate (un minerai servant à fabriquer de l’engrais), dont la rente alimenterait les caisses de l’État. L’idée, abordée mercredi dans le cadre du Conseil national de sécurité, nécessite d’investir dans le développement technique et humain de la Compagnie des phosphates de Gafsa, l’ancien fleuron national dont la production s’est effondrée depuis la révolution.

Il ambitionne aussi de récupérer des sommes ayant par la corruption des élites de la décennie post-révolutionnaire et même celles de la dictature de Ben Ali (1989-2011). Avec pour plan de réinjecter ce manque à gagner et les mettre au service de l’ensemble des Tunisiens. À supposer que ces sommes existent réellement… “Le problème est que ce manque à gagner de l’État correspond à une estimation théorique. Il ne s’agit pas seulement d’argent physique, venant de détournements de fonds ou d’évasion fiscale à l’étranger. Toute sa vision est basée sur cette idée fausse”, relève Hatem Nafti.