High-tech

Meta et Disney ont-ils tué le métavers?

Meta, qui avait pourtant spécifiquement changé de nom en octobre 2021, a déjà dépensé des dizaines de milliards de dollars pour développer son métavers. Mais l’application phare Horizon Worlds ne décolle pas. Mark Zuckerberg a d’ailleurs décidé d’en faire une priorité « à plus long terme ». Disney, de son côté, annonçait il y a quelques jours fermer son département dédié. Alors, le monde virtuel à peine ébauché est-il déjà mort ?

Horizon Worlds est l'application phare de Meta dans le métavers.
Horizon Worlds est l’application phare de Meta dans le métavers. ©Copyright (c) 2022 Diego Thomazini/Shutterstock. No use without permission.

”Inévitablement, le métavers se développera, mais pas tout de suite, pose Quentin Degroux, expert en métavers et numérique qui va bientôt lancer son propre fonds dans le digital fashion en Belgique. Ce projet d’innovation demande trop d’argent sans promesse de revenus significatifs à court terme, et les technologies nécessaires comme les casques de réalité virtuelle ou la blockchain ne sont pas encore tout à fait matures.” Un casque de réalité virtuelle Quest 2 de la filiale Oculus de Meta démarre par exemple dans les 400 euros. Une barrière à l’entrée substantielle en contradiction avec les objectifs de l’entreprise de lancer des mass market games (jeux et applications utilisés par le plus grand nombre). Les ventes de ce casque ont d’ailleurs largement diminué au premier trimestre 2023.

De nouveaux espaces libres

Toutefois, il existe deux types de métavers : les privés… et les publics. Les métavers privés sont ceux développés par Meta ou Disney, dans lesquelles l’infrastructure est entièrement gérée par ces entreprises, où les données sont capturées et qui nécessitent un véritable business model. Les big tech qui les élaborent ont une forte capacité de financement mais le métavers est pour elles une activité parmi d’autres.

Or, on trouve une deuxième catégorie de métavers dont le développement suit son petit bonhomme de chemin. “Les open public metaverses sont la tortue qui rattrape le lièvre. Ces espaces totalement libres sont de ‘petites démocraties’ où tout le monde peut construire et essayer de monétiser son activité. On peut imaginer un agent immobilier virtuel qui achète et vend des terrains (dans le métavers, NdlR), un créateur de vêtements numériques qui vend ses collections…”, décrypte Quentin Degroux. Decentraland, The Otherside ou encore The Sandbox sont des exemples de ces métavers publics. “Ces univers virtuels sont plus complexes et donc plus longs à développer car ils sont basés sur des technologies en open source. Mais c’est aussi pour ça que tout le monde est libre d’y construire et d’y développer son activité. Les sociétés derrière ces mondes virtuels ont moins de moyens que les big tech mais se consacrent au métavers à 100 %”, complète Quentin Degroux.

« Le métavers sera ce que l’on veut qu’il devienne »

Le concept du métavers est donc toujours en essor grâce à l’open source. “C’est un mode d’interaction numérique évolué qui va remplacer les mails et les messageries en ligne, ajoute Quentin Degroux. Le métavers sera ce que l’on veut qu’il devienne.”

« Creux de la désillusion »

Même s’il faut reconnaître que ces derniers mois, les métavers publics ont perdu en attractivité. Par exemple, le prix de vente médian d’un terrain dans l’univers Decentraland (qui se compose de 90 601 parcelles de terrain sous forme de jetons non fongibles pouvant être achetés en utilisant la cryptomonnaie MANA) a chuté de près de 90 % par rapport à 2022. Un chiffre issu du site web d’immobilier virtuel WeMeta.

Les prix des terrains virtuels sur la plateforme Decentraland ont perdu 90% de leur valeur par rapport à 2022.
Les prix des terrains virtuels sur la plateforme Decentraland ont perdu 90% de leur valeur par rapport à 2022. ©Copyright (c) 2022 Immersion Imagery/Shutterstock. No use without permission.

Le nombre d’utilisateurs actifs sur Decentraland a également baissé de 25 % entre novembre et janvier, bien que certaines opérations marketing redressent la barre comme la Metaverse Fashion Week fin mars à laquelle ont participé des marques comme Dolce & Gabbana ou Tommy Hilfiger. Ventes flash, expositions, concerts, sessions de jeu spéciales… les méthodes pour attirer l’internaute sont multiples.

Aujourd’hui, d’après le cabinet de conseil Gartner, le métavers est passé du stade de “pic des attentes exagérées” à “creux de la désillusion”. Ces stades font partie de l’étude annuelle Hype Cycle, une représentation graphique qui rend compte de l’évolution de la maturité d’une technologie et des attentes placées en elle. Selon l’étude, le métavers ne sera pas réellement mis en place avant une dizaine d’années.

L’IA au service du métavers

Finalement, le grand défi à venir pour le métavers est de trouver la ou les applications qui donneront envie à tout le monde d’y aller : des “killer apps”. “Le métavers doit être concret pour les gens. On va d’ailleurs cesser de l’appeler comme ça, car le terme a fait le buzz mais personne ne sait exactement ce que c’est, partage Bernadett Koles, professeure de marketing à l’IÉSEG School of Management (Paris) et spécialiste du métavers. Il existe un bon potentiel auprès des gamers, mais le but est de rendre le monde virtuel utile et concret pour tout le monde. Les big tech disent se détourner du métavers pour investir dans l’IA. C’est une erreur. Les développements actuels en IA sont justement ce qui va permettre de créer des solutions concrètes en 3D, application par application, pour rendre des services dans la ‘vraie vie’”.

À noter que des solutions de ce type existent déjà comme les jumeaux numériques dans l’industrie ou les expériences immersives pour soigner certaines phobies grâce à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée. “En ce moment, on oppose IA et métavers, mais en fait, c’est l’IA qui va permettre de rendre le métavers concret”, conclut Bernadett Koles.