France

« Un dixième des bâtiments de Strasbourg pourrait être surélevé »… et ce serait écologique

Habitants du dernier étage d’un immeuble, préparez-vous ! Au-dessus de vos têtes, ce ne sera peut-être bientôt plus un toit mais… de nouveaux voisins. La surélévation des bâtiments devrait s’affirmer ces prochaines années, et décennies, dans toutes les métropoles françaises. Pas le choix, l’Etat a déjà et continue de légiférer afin de lutter contre l’étalement urbain.

« En 2014, un texte au sein de la loi Alur avait permis de renforcer la densification urbaine. et en 2021, l’objectif de réduire l’artificialisation des sols a été clairement établi dans la loi Climat et résilience », détaille la docteure en architecture Géraldine Bouchet-Blancou. En précisant vite que la surélévation n’est pas une pratique nouvelle. « Ça a toujours existé partout et à peu près à toutes les époques, sauf que ça ne se voyait pas ou peu. Aujourd’hui, on distingue beaucoup plus ces ajouts car les concepteurs les dissocient toujours de l’existant », poursuit celle qui vient de publier La surélévation des bâtiments. Densifier et rénover à l’échelle urbaine (Le Moniteur).

Strasbourg n’est évidemment pas un cas à part dans ce paysage. Des projets de cette nature y ont déjà été menés. Le plus emblématique mène aux Docks de la presqu’île André-Malraux, où une charpente métallique de 800 tonnes a été ajoutée en 2013 sur l’ancien entrepôt d’armement Seegmuller. Résultat, trois nouveaux étages et 4.500 m² de logements. Plus récemment, le Palais de justice de la ville a aussi été agrandi par le haut.

« Il y a d’autres exemples mais les surélévations se font encore peu », précise Maxime Khalili, l’associé gérant principal de K & + architecture globale. Son cabinet a lui-même déjà œuvré en ce sens. Lors de la réhabilitation d’un immeuble existant en 35 logements collectifs du quartier de Koenigshoffen et… pour ses propres bureaux situés à la Plaine des Bouchers. « Grâce à tout ça, on commence à être identifié comme spécialistes dans le domaine. Car attention, la surélévation, ce n’est pas donné à tout le monde. »

« Systématiquement des recours du voisinage »

Les écueils sont aujourd’hui encore nombreux et freinent l’accélération d’un processus qui semble presque inévitable. Le premier ? « C’est déjà compliqué de trouver les acteurs privés qui vont vouloir s’y mettre, répond Géraldine Bouchet-Blancou. Les constructeurs ne s’y intéressent pas encore vraiment car à surface égale, ça leur revient moins cher de construire du neuf ailleurs sur une parcelle vierge. » La spécialiste énumère ensuite d’autres problèmes majeurs qui se posent. « Dans ce genre de dossiers, il y a quasiment systématiquement des recours du voisinage et l’opérateur peut enfin se heurter à une volonté politique. »

Pas dans la capitale alsacienne à en croire les interlocuteurs interrogés. La municipalité écologiste en place est favorable à l’augmentation de la hauteur des bâtiments existants et le dit. « La surélévation mérite d’être démocratisée : elle permet aux copropriétés de financer leur rénovation énergétique en cédant à un opérateur leur droit à surélever ; elle crée des logements sans occuper de terrains. […] Et elle semble bien acceptée : aucun des permis de construire en surélévation que j’ai signés à Strasbourg n’a suscité de recours ! », a expliqué récemment au Monde la vice-présidente chargée de l’habitat, Suzanne Brolly.

L’ancien entrepôt d’armement Seegmuller, à Strasbourg, où trois étages ont été ajoutés par Résultat, trois nouveaux étages par les architectes de KS Groupe.
L’ancien entrepôt d’armement Seegmuller, à Strasbourg, où trois étages ont été ajoutés par Résultat, trois nouveaux étages par les architectes de KS Groupe. – Stéphane SPACH

Mieux, la ville a confié à un cabinet d’études UpFactor d’estimer les possibilités dans l’Eurométropole. « Grâce à un logiciel, 16.500 bâtiments ont pu être identifiés, sur un total d’environ 150.000 dans l’agglomération, détaille l’enseignante vacataire à l’École nationale supérieure d’architecture (Ensas) de la ville. Un dixième de Strasbourg pourrait être surélevé potentiellement. Après, il faut filtrer tout ça et agir en cohérence. »

C’est-à-dire prioriser, notamment vers les immeubles qui ont besoin d’une rénovation énergétique poussée. Dans ce cas précis, des copropriétaires pourraient alors se tourner vers cette solution par le haut. Cela se passe déjà à Paris, où des habitants ont ainsi financé de vastes travaux dans leurs résidences en vendant leur toit. « Les syndics en parlent encore très peu car ça peut créer des tensions », nuance Maxime Khalili.

Des prix d’achat très variables

Les votes pour ce genre d’opérations y ont pourtant été simplifiés. Depuis 2014, l’occupant du dernier étage n’a plus de droit de véto. Il a été remplacé par une priorité à l’acquisition du toit et du nouveau bien au-dessus de sa tête. A quel prix ? Les acteurs du secteur ne se prononcent pas, ceux-ci étant très variables dans un marché qui reste balbutiant. Mais qui a évidemment déjà des règles de sécurité.

Elles sont strictes sur la surélévation. « On ajoute jusqu’à 30 % de la surface du bâtiment déjà existant et 10 % du poids de la dalle du dernier étage », énumère le fondateur de K & + architecture globale. « En règle générale, ça ne dépasse pas deux étages et on a souvent recours au bois car c’est plus léger, ajoute Géraldine Bouchet-Blancou, convaincue des bienfaits de la surélévation. On y a tous intérêt, ne serait que pour ne pas sacrifier des terrains agricoles. »

« Environ 42 % de nos émissions de gaz à effet de serre sont liées à l’étalement urbain. Car agrandir la ville, ça coûte des routes, de l’éclairage, des écoles etc., prolonge Maxime Khalili. Ça ne fait peut-être pas partie du rêve français qui est d’avoir sa maison, mais la concentration et la densité sont écologiques. »