FranceSport

Tour des Flandres : « Ils en mettent partout »… Comment la Jumbo-Visma est devenue la reine de la stratégie

Des espèces jaunes et noires qui filent à toute allure en pleine nature en ce début de printemps ? Le réchauffement climatique a beau consumer notre environnement à petit feu, vous ne risquez pas encore de voir des abeilles (ou des guêpes, faites votre choix) ce dimanche autour du Vieux-Quaremont, à l’occasion du Tour des Flandres. Non, ces grosses bêtes bicolores qui vont venir butiner sur les monts belges, ce sont les coureurs de la Jumbo-Visma.

Avec cinq victoires en six courses (deux succès pour Christophe Laporte, une pour Wout Van Aert, une pour Dylan Van Baarle et une autre pour Tiesj Benoot), l’équipe néerlandaise est sur une autre planète en cette époque bénie des classiques. Mais, au-delà des résultats, c’est la manière dont sont acquises qui impressionne. Les sergents qui partent en observation, les généraux qui attaquent à une cinquantaine de kilomètres de l’arrivée et le bataillon (ou presque) qui finit bras dessus bras dessous, comme lors du défilé à Van Aert et Laporte lors de Gand-Wevelgem.

Pas surprenant, selon Tom Leezer, coureur de la Jumbo-Visma jusqu’en 2020, qui a pu déjà observer les prémices de ce cyclisme total : « On avait déjà essayé ce genre de stratégies, mais elles ne sont vraiment efficaces que depuis l’année dernière et ont un peu augmenté cette année. Il fallait avoir des coureurs assez forts pour pouvoir utiliser cette tactique, et je ne pense pas qu’on les avait. Aujourd’hui, il y a une super équipe avec des coureurs capables d’exécuter ce plan. » Oui, car si l’équipe jaune et noire peut se permettre ce genre de tactique, c’est surtout parce qu’elle possède les meilleurs coureurs du monde. Ou presque.

Un seul mot d’ordre, anticiper

Par exemple, sur le Ronde, ce dimanche la Jumbo va se présenter avec Wout Van Aert, Tiesj Benoot, Chistophe Laporte ou Nathan Van Hooydonck. Soit autant de coureurs qui seraient leaders dans n’importe quelle autre équipe. « Quand tu assembles des grands coureurs, la stratégie est facile », analyse l’ex-coureur Sébastien Chavanel. Avec un mantra : l’anticipation groupée. Attaque à 52 km de l’arrivée pour Laporte et Van Aert lors de Gand Wevelgem, attaque de Benoot et Laporte à 54 km de la ligne lors de A Travers la Flandre. Sans oublier la fameuse étape du Tour de France, l’année dernière, où les Bataves avaient renversé Pogacar.

« Avec cette force collective, ils épaillent la course tôt, en mettent un peu partout et après, ils jouent le fait d’être en surnombre, estime le roi de l’attaque Pierre Rolland, désormais consultant pour La chaine L’Equipe. Sur ces classiques, où il y a de petites routes, si une équipe met le curseur très haut, si on est mal placé ou qu’on a un problème technique, c’est fini. » Cette stratégie de course provoque l’admiration de Laurens De Vreese, ancien coéquipier de Mathieu Van Der Poel chez Alpecin :

J’aime beaucoup cette façon de courir, et c’est surtout très intelligent. Plus tôt ils attaquent, plus le résultat final de la course dépend d’eux-mêmes, et plus c’est facile pour eux de contrôler la course. Sur le Tour des Flandres, par exemple, si tu ne fais rien avant le deuxième passage du Paterberg [à 50 km de l’arrivée], tu prends le risque que des gars aient des bonnes jambes et t’accompagnent jusqu’à la ligne d’arrivée. Tu ne peux pas prendre ce risque quand t’as les meilleurs coureurs et la meilleure équipe. »

« Ils sont à la pointe »

Et, qui dit meilleure équipe, dit aussi meilleur staff. Car les directeurs sportifs ne laissent rien au hasard, comme le confiait Christophe Laporte à L’Equipe après son succès sur A Travers la Flandre : « Tout est décortiqué, tout est planifié. La course est divisée en trois phases : une phase de contrôle et plusieurs phases d’actions où chacun sait ce qu’il doit faire précisément. On a toujours des plans A, B et C. Tous les scénarios sont pris en compte. »

Et on a bien compris, mercredi, en voyant deux assistants au milieu de nulle part, sur le bord de la route à Ladeuze, à peine quelques kilomètres après l’attaque de Benoot et Laporte, que tout se déroulait selon les plans établis. « Ils ont une stratégie très pertinente, avec une approche spéciale, une préparation énorme, un très bon matériel, reprend Pierre Rolland. Ils sont à la pointe. » Et, malgré ce côté robotique, la Jumbo Visma ne lésine pas sur le soin apporté à l’humain.

« La problématique des équipes qui fonctionnent sur un ou deux coureurs, c’est qu’on nourrit l’ego d’un individu ou deux. Là, on nourrit l’ego de tout le monde, développe Sébastien Chavanel. ils s’intéressent beaucoup à l’individu, pour le mettre en confiance et qu’il exprime totalement son potentiel. Pour moi, c’est plus une question de management que quelque chose de miraculeux. Tout le monde mange une part du gâteau. La meilleure illustration, c’est Van Aert qui laisse gagner Laporte lors de Gand-Wevelgem. » Un geste qui permet au Français de vivre « son rêve de gamin » et à Van Aert de s’assurer que tout le monde soit investi lors des plus grosses échéances où il sera vraiment en première ligne.

Un exploit individuel pour contrer la force collective ?

Alors, pour les adversaires, comment faire face aux Avengers du cyclisme ? Nos intervenants ont leur petite idée, même s’ils assurent que ça va être presque mission impossible de contrer la Jumbo. « Une échappée avec une quinzaine de coureurs, avec quelques outsiders qui partent de très loin, Jumbo-Visma pourrait avoir des problèmes pour contrôler, avise Laurens De Vreese. Si les autres équipes sont intelligentes, elles n’aident pas la Jumbo à chasser, et là ça peut être compliqué pour eux. »

Pour Sébastien Chavanel, « les autres équipes sont de toute façon prises au piège. Si y a Benoot devant, ou Van Hooydonck ou Laporte, c’est presque déjà trop tard. Aujourd’hui, il n’y a pas d’équipe qui peut rivaliser collectivement avec Jumbo. La différence peut seulement être faite individuellement par Pogacar ou Van Der Poel. » Même analyse du côté de Tom Leezer : « Je pense que Pogacar et Van der Poel vont essayer de partir assez tôt dans la course. S’ils partent à 70 à 80 km de l’arrivée, et c’est ce que je ferais à leur place, ça rendrait les choses beaucoup plus difficiles pour la Jumbo. » Ça, c’est juste pour se débarrasser de Laporte ou Benoot. Mais Van Aert risque quand même de s’accrocher. Comme une abeille au pistil d’une fleur.