France

Réformer le lycée professionnel, au risque de le « transformer en agence d’intérim » ?

Emmanuel Macron veut faire de la voie professionnelle une « voie d’excellence ». Avec cet objectif en étendard, le président français a présenté ce jeudi sa réforme du lycée professionnel. Au cœur de la promesse d’un investissement de « près d’un milliard par an » se niche la question des stages. Le chef de l’Etat souhaite qu’ils soient plus nombreux et tous rémunérés. Car « tout travail mérite salaire », assure-t-il. Mais le stage est-il un travail comme les autres ? Qu’est-ce que cette mesure va changer pour les lycéens et pour le marché de l’emploi ? 20 Minutes se penche pour vous sur ce changement, grâce à l’éclairage de Fabienne Maillard, sociologue et professeure en sciences de l’éducation à l’université Paris-8.

Qu’est-ce que ça changera pour les lycéens ?

Jusqu’ici, les semaines obligatoires de formation en milieu professionnel n’étaient pas toujours rémunérées. En effet, la réglementation prévoit une gratification quand « la durée du stage au sein d’un même organisme d’accueil est supérieure à deux mois consécutifs ». Or, les lycéens des filières professionnelles effectuent souvent des stages bien plus courts. Il est donc « extrêmement rare » que cette « condition de durée » soit remplie par les lycéens professionnels, assure Eduscol, le site d’information et d’accompagnement des professionnels de l’éducation. « Il est vrai que ces élèves ont besoin d’argent, beaucoup travaillent comme livreur ou dans la restauration pour survivre. Mais ce sont de petites gratifications, insuffisantes pour beaucoup d’élèves de milieux populaires », estime la sociologue Fabienne Maillard qui préférerait l’attribution d’allocations ou de bourses pour ces étudiants en difficulté.

Pour arriver à « 100 % d’insertion », le président français veut, en parallèle, augmenter la durée des stages. Ainsi, les stages doubleront dans les terminales professionnelles. « Ces semaines de stages en plus priveront les élèves de beaucoup d’enseignements généraux », souligne la professeure en sciences de l’éducation à l’université Paris-8. En terminale, les élèves des filières professionnelles auront jusqu’à douze semaines de stage, soit trois mois d’enseignement général en moins. Les syndicats de professeurs s’inquiètent aussi de cette augmentation qui reviendrait, selon eux, à « désorganiser la voie professionnelle scolaire ». En insistant sur l’insertion professionnelle de ces jeunes, qui sont environ 621.000 en France, Emmanuel Macron semble donc aller à l’encontre de la doctrine de poursuite d’études jusqu’ici affichée par les gouvernements successifs.

Pourquoi ce projet inquiète-t-il ?

Le chef de l’Etat a vanté l’apprentissage, qui repose sur l’alternance entre enseignement théorique et contrat chez un employeur. Mais cette volonté de professionnaliser les élèves de ces filières inquiète de nombreux enseignants. « On a l’impression que l’on décroche l’enseignement professionnel du système éducatif pour le mettre sous la coupe des entreprises », tance Fabienne Maillard. Le syndicat Sud-Education estime dans un communiqué ce jeudi que le président « procède à la mise à sac de l’enseignement professionnel » et évoque la « soumission de l’enseignement professionnel aux besoins des entreprises et non aux besoins de notre société ». « Ce projet rappelle beaucoup le XIXe siècle », abonde Fabienne Maillard.

« Dans l’enseignement d’aujourd’hui, on forme des citoyens, pas seulement des travailleurs. Ces annonces transforment le lycée en agence d’intérim. » De nombreuses entreprises acceptent des stagiaires, même jeunes, mais elles sont peu nombreuses à avoir les moyens de les former correctement. « Les entreprises ne sont pas formatives dans l’absolu. Le stage peut être très formateur et certaines sociétés encadrent très bien les jeunes mais ce n’est pas généralisable », estime la sociologue qui ajoute qu’ils sont souvent cantonnés à des « tâches que personne ne veut faire ». A quinze ans, les stagiaires font plus « des stages d’observation » mais en BTS ou en terminale, s’ils sont bien formés, ils permettent en revanche aux entreprises de produire à très moindre coût. Une situation qui « pose la question du travail des mineurs », juge la professeure d’université.

Ne s’agit-il pas d’une mesure avant tout symbolique ?

Les rémunérations des stages lycéens envisagées par l’exécutif semblent avant tout symboliques. Les élèves de seconde en lycée professionnel et de première année de CAP pourront prétendre à une gratification de 50 euros par semaine. Elle monte à 75 euros par semaine en première et en seconde année de CAP et à 100 euros par semaine en terminale. Avec au maximum 400 euros par mois, les élèves en filières professionnelles sont très loin du salaire minimum. Ce n’est toutefois pas « anodin » de choisir de financer ces « gratifications par l’Etat », insiste Fabienne Maillard.

« Est-ce vraiment à l’Etat plutôt qu’aux entreprises de financer des stages où les étudiants sont productifs ? », s’interroge l’experte en sciences de l’éducation. Emmanuel Macron a annoncé la mise en place d’« un bureau des entreprises dans chaque lycée professionnel » afin de garantir un meilleur accompagnement des élèves. Ainsi que la venue dans ces établissements de « professeurs associés » issus du monde de l’entreprise. L’exécutif assume sa volonté d’introduire le monde professionnel dans la sphère de l’enseignement secondaire, au grand dam des syndicats enseignants. Dans son communiqué jeudi, Sud-Education estime ainsi que le gouvernement veut « mettre l’école au service de l’entreprise ».