France

Réforme des retraites : L’intersyndicale peut-elle rester unie ? On a demandé l’aide de thérapeutes familiaux

Au sein de l’intersyndicale, comme dans toutes les familles, les envies de se crêper le chignon ne manquent pas. On ne s’y dispute pas sur la destination pour les vacances ou sur le nom à donner au chien. Car dans cette drôle de famille recomposée – et quelque peu dysfonctionnelle, il faut bien l’admettre -, les conflits internes tournent davantage autour du mode opératoire contre la réforme des retraites et du degré de négociation possible avec le gouvernement. 

Les divisions sont là, et de nombreux commentateurs politiques parient de longue date sur un futur divorce. Mais la famille syndicale s’est fixé un nouveau cap, avec une nouvelle journée de mobilisation contre les 64 ans le 6 juin. Encore donc un mois minimum à tenir, unis, dans la maison. Comment faire pour ne pas imploser ? 20 Minutes a contacté deux thérapeutes pour gratter quelques conseils sur les conflits familiaux : Raphaëlle de Foucauld, thérapeute de couple et de la famille, et Robert Zuili, psychologue spécialiste des interactions émotionnelles. Allongez-vous bien sur le divan, c’est parti !

Faire valoir son unicité sans s’auto-caricaturer

Une famille, ce n’est pas un groupe uniforme mais un ensemble de membres différents. En l’occurrence, huit pour l’intersyndicale. « Chacun a ses aspérités propres, et est légitime pour faire valoir ses besoins. C’est important de ne pas s’effacer, de ne pas s’oublier et de garder sa propre identité, même au sein d’un groupe, même avec un objectif commun », estime Raphaëlle de Foucauld : « Ce n’est pas parce que les syndicats veulent tous le retrait de la réforme qu’il faut que chacun perde son identité dans ce but. »

Mais attention à ne pas tomber dans l’auto-caricature ou l’inflexibilité. « Dans une famille, chacun peut avoir tendance à s’enfermer dans un rôle : le père strict, l’enfant rebelle… On le voit avec la CFDT dans son costume de syndicat réformiste, la CGT qui voudrait forcément paraître plus radicale… Ces postures tranchées deviennent vite contre-productives » C’est donc oui pour s’affirmer, non pour se renfermer sur soi.

La communication

Un peu évident certes, mais on ne pouvait pas y couper. Une famille, un couple, un groupe d’amis… Toute relation sociale ne dure que si le dialogue est maintenu. Et on parle bien de dialogue, pas de brailler chacun dans son coin. « Il faut donc savoir écouter l’autre, chercher à comprendre quels sont ses attentes, ses ressentis, essayer de se mettre à sa place », poursuit la thérapeute.

Et le dialogue, ce n’est pas seulement tendre l’oreille, c’est aussi savoir s’exprimer correctement – et efficacement. « Cela nécessite une introspection pour définir ce qu’on veut vraiment. On a tendance à brouiller nos propres messages, évoquer nos envies plutôt que nos besoins, ce qui n’aide pas l’autre à nous comprendre et à nous entendre », développe Raphaëlle de Foucauld.

Se rappeler des valeurs communes

Une famille ne se choisit pas, l’intersyndicale si. C’est un gros bonus. Alors au moment de penser à se séparer, il faut parfois se souvenir de la raison pour laquelle on s’est uni au départ. « Il y a moins d’engagement affectif que dans une vraie famille et plus de pragmatisme, rappelle en évidence Robert Zuili. Cela peut aider à désenflammer les débats, d’autant plus que cette famille de circonstance a un  »ennemi » commun, la réforme des retraites, ce qui est toujours utile pour souder un groupe et minimiser les tensions internes. »

Savoir se quitter au bon moment (et en paix)

Toutes les bonnes choses ont une fin, mais toutes les fins ne sont pas bonnes. Pour éviter le clash, le mieux est de savoir dire « stop » à temps, et de ne pas attendre que la maison s’écroule pour claquer la porte. « Les séparations font partie de la vie et parfois, quand les choses n’avancent plus car chacun souhaite une direction différente, il faut savoir partir », rappelle Raphaëlle de Foucauld. Le tout en évitant un trop-plein de ressenti : « Le mieux à faire est de se questionner sur ce qui n’a pas marché, plutôt que forcément reprocher des choses aux autres. » 

Surtout que l’intersyndicale en appelle peut-être d’autres, contre des réformes à venir, notamment sur le travail : « Il faut imaginer une sorte de break sain plutôt qu’une rupture en mauvais termes. »

Une solution d’autant plus tentante pour Robert Zuili que « dès le départ, il était certain que l’intersyndicale ne durerait pas. Ce n’était qu’une famille provisoire et de circonstance. Inutile, donc, de finir en drame. »

Se rappeler des bons moments

C’est déjà bien de se quitter sans ressenti, c’est encore mieux si on part le cœur plein de gratitude. Robert Zuili : « Cette intersyndicale, cela aura été quelque chose de rare dans l’histoire sociale du pays, une union estimable car loin d’être évidente. Alors oui, ça va finir un jour, tant les divisions internes sont grandes et tant il est important pour chacun de tracer sa propre route. Mais ça aura existé, et ça aura été beau. C’est le plus important ».