FranceSport

« L’ovni » Guillaume Ruel à l’assaut du record du monde du 100 km à Tokyo

Chers parents amateurs de notre rubrique « Hors terrain », n’hésitez pas à laisser vos enfants filer à l’aventure. L’ultra-fondeur Guillaume Ruel, plus jeune champion de France du 100 km, se souvient en tout cas qu’à 10 ans, il était parti de la maison familiale de Coutances (Manche) pour courir une improbable boucle de 10 km tout seul. « Mes parents ne m’avaient même pas grondé, sourit l’intéressé. Ils étaient super contents que j’ai réalisé ce petit exploit. » Quinze années plus tard, le voici sur le point de s’envoler pour Tokyo, où il va tenter de réaliser le 21 mai le record du monde du 100 km sur route. Il faut dire que le papa, Stéphane Ruel, était devenu double champion d’Europe par équipe de course à pied sur 24 heures en 2016 et 2018, avec un record personnel de 263,540 km parcourus sur ce format extrême.

Les grandes distances ne risquaient donc pas d’effrayer Guillaume (25 ans), ravi d’accompagner son père sur des épreuves jusqu’en Roumanie et en Irlande du Nord, et s’occupant même parfois de ses ravitaillements. « On peut dire que j’ai baigné dedans depuis tout petit, glisse le Normand, licencié d’athlétisme dès l’âge de 10 ans. Les ados préfèrent en général les sports collectifs ou les disciplines explosives de l’athlé comme le sprint et les haies. Mon profil a donc vite détonné car j’ai toujours participé dans les catégories jeunes aux distances les plus longues que le règlement permettait, avec du 3.000 m, puis du 10 km et du semi-marathon. De même, le marathon m’a fait rêver très tôt. »

« Une soupape de décompression » durant les études

Ado « un peu hyperactif et très introverti », Guillaume Ruel se retrouve dans le groupe adulte de demi-fond du club de Coutances à seulement 13 ans. Avant de découvrir pour de bon le marathon à 19 ans à Albi, il s’est illustré en devenant en 2015 champion du monde juniors de skyrunning, sur les formats 42 km et kilomètre vertical. Tenant à rester vivre en Normandie et à concentrer ses entraînements sur la route, il franchit un cap durant ses six années d’études de pharmacie à Caen. « La course à pied a alors pris une dimension supplémentaire pour moi, confie-t-il. Je m’entraînais deux à trois fois par jour, donc les résultats se sont vite fait ressentir. Je me servais de ma passion comme d’une soupape de décompression afin de me vider la tête et de pouvoir retravailler ensuite. »

Lors du dernier Marathon de Paris, Guillaume Ruel s'est classé à la 28e place, avec un chrono de 2h20'58''.
Lors du dernier Marathon de Paris, Guillaume Ruel s’est classé à la 28e place, avec un chrono de 2h20’58 ». – Salomon

Champion de France des moins de 23 ans sur semi (en 1h05) et sur marathon (en 2h25) en 2017, il est retenu par la Fédération française d’athlétisme pour des stages au Portugal et au Kenya avec l’équipe de France A de marathon. Et ce à 17 ans donc. Opéré d’une excroissance osseuse au talon en 2019, à l’arrêt forcé de toute compétition ensuite en raison du Covid-19, puis victime de crises d’asthme et d’allergies le poussant à abandonner plusieurs courses, Guillaume Ruel traverse une longue période de doute, au moment de se tester pour la première fois sur 100 km, lors du championnat de France 2021 à Amiens.

« Il décloisonne les distances »

Un défi incroyable, sur un tracé de 50 km en aller-retour le long de la Somme, pour un jeune athlète n’ayant jamais couru plus qu’un marathon (42,195 km). « Je n’avais même pas fait d’entraînement spécifique pour du 100 km mais ça me tentait, s’amuse Guillaume Ruel. Dans mon esprit, je prenais le départ pour gagner. Si je n’y parvenais pas, j’étais décidé à arrêter la course à pied car j’en avais marre de ne pas avoir des résultats à la hauteur de mon investissement. » Ce 16 octobre 2021, c’est pour lui la révélation sur très longue distance. Il s’envole sur les bases du record de France pendant 70 kilomètres, avant de galérer pour boucler le dernier quart de la course. Il l’emporte tout de même en 6h42 (15 km/h de moyenne), ce qui lui permet donc de devenir le plus jeune champion de France de la discipline, à 23 ans.

« Ça me paraissait assez facile au niveau de l’allure, c’était comme un footing rapide », résume l’intéressé, qualifié du même coup pour le championnat du monde de la distance, en août 2022 à Berlin. Son premier coup de maître sur 100 km tape dans l’œil de Salomon, qui fait de Guillaume Ruel son seul athlète pro français en running (hors trail) avec la marathonienne Anaïs Quemener. « C’est une discipline plutôt confidentielle et habituellement réservée à des athlètes expérimentés, constate Alexandre Huno, manager en marketing chez Salomon. Le voir débarquer là à 23 ans comme un ovni, ça en dit long sur son potentiel. Et à l’image d’un Jim Walmsley dans le trail, il décloisonne les distances. »

« Je me voyais travailler dans une pharmacie »

Car avant d’affronter d’interminables répétitions de boucles de 7,5 km en Allemagne, Guillaume Ruel « pulvérise » en 2022 tous ses chronos sur formats marathon et 50 km, avec le record d’Europe de la distance (2h47) à l’appui, ce qui montre toute sa polyvalence. « Un an plus tôt, ma vie était définie : je me voyais travailler dans une pharmacie et courir le marathon autour des 2h20 sans parvenir à optimiser tout mon potentiel », résume celui qui a obtenu son diplôme de pharmacie le 1er juillet 2022. Depuis, il assure un remplacement deux jours par mois dans une pharmacie près de Caen pour « ne pas perdre la main ». Le reste de son temps est évidemment consacré à la course à pied.

A Berlin, le benjamin de l’épreuve a mené la course seul pendant 85 km, sur les bases du record du monde, avant de craquer et de finir cinquième. Il s’est offert au passage le record de France en 6h19, soit 23 minutes de moins que lors de son premier 100 km. « L’idée de pouvoir battre le record du monde [6h09] a depuis mûri dans ma tête », souffle le Normand. Il sera très bien entouré, le 21 mai à Tokyo, aux côtés de trois redoutables Japonais, à savoir le champion du monde en titre, le vice-champion du monde, et l’actuel détenteur du record du monde. Pour préparer cet événement, Guillaume Ruel boucle un long cycle de préparation avec des semaines à près de 250 km de running parcourus (en 13 sessions d’entraînement), avec aussi entre 6 et 8 heures de vélo d’appartement hebdomadaires, plus du renforcement musculaire.

« Jusqu’au 60e km, c’est comme une balade »

Et un petit enchaînement de prépa sympa entre le marathon de Nantes (6e en 2h23) le 23 avril et un 50 km autour de Bologne (2e en 2h52), seulement deux jours plus tard. « C’est très excitant de se dire qu’on se confronte à un chrono qui n’a été couru qu’une seule fois par un être humain », apprécie-t-il avant de vouloir détrôner les 6h09 de Nao Kazami sur ses terres. Guillaume Ruel est conscient que la perspective d’un tel record du monde n’exalte pas les foules, même s’il ne s’agit que du troisième 100 km sur route de sa vie. Qu’est-ce qui le pousse donc à tout donner sur ce format ?

C’est assez ingrat, ça reste dans un certain anonymat. On court sur du bitume, il n’y a pas la dimension de jolis paysages et c’est tout pour la performance, le chrono, la place. C’est une philosophie très différente du trail, de l’UTMB. Le 100 km sur route, c’est vraiment un combat contre soi-même. Jusqu’au 60e km, c’est facile, comme une balade dans laquelle il faut réussir à passer le temps. Mais au fur et à mesure de la course, on se met un peu en danger. On se retrouve dans une « pain cave ». C’est dans cette zone d’inconfort que j’éprouve du plaisir, en repoussant mes limites et en souffrant, sans être maso. On en apprend sur soi durant ces deux heures d’efforts à repousser ses limites. »

Au point de se passer durant toute sa carrière de grands championnats d’athlétisme, dans lesquels le 100 km et même le 50 km ne sont pas conviés ? « A choisir, je préférerais participer aux JO en marathon que devenir recordman du monde du 100 km, tranche Guillaume Ruel. Mais d’un autre côté, les coureurs européens sont dans l’anonymat de la performance sur le marathon, loin des coureurs africains. Sur 100 km, je peux jouer les premiers rôles. » Auteur d’un record personnel de 2h15 sur le Marathon de Séville en février (2h20’58 » et une 28e place lors du dernier Marathon de Paris), Guillaume Ruel fait actuellement partie du Top 10 français sur 42 km. Mais il ne se fait aucune illusion quant à ses possibilités d’aller chercher l’un des trois tickets tricolores pour participer aux Jeux olympiques de Paris. « Le chrono demandé est à 2h08, 2h09, et c’est impossible pour moi d’aller chercher un tel temps d’ici décembre », précise celui qui se tourne donc davantage vers les JO de 2028 ou de 2032. D’ici-là, notre pharmacien runner aurait même le temps de jouer les « ovnis » dans une autre discipline.