France

Le gouvernement doit-il lutter avec la même intensité contre la fraude sociale et la fraude fiscale ?

Il s’est donné cent jours pour apaiser et unifier le pays. Voilà la feuille de route d’Emmanuel Macron, dévoilée lundi lors d’une allocution présidentielle en pleine crise politique. Pourtant, dès le lendemain, l’un des cadres de son gouvernement s’est empressé de glisser une nouvelle bûche pour alimenter un brasier social encore incandescent.

« Nos compatriotes en ont ras le bol de voir des personnes toucher des aides qu’ils payent eux-mêmes et les renvoyer au Maghreb ou ailleurs alors qu’ils n’y ont pas le droit », a estimé Bruno Le Maire. Le ministre de l’Economie a pris à bras-le-corps l’une des missions fixées par le chef de l’Etat dans son discours : « Lutter contre toutes les formes de délinquance, contre toutes les fraudes, qu’elles soient sociales ou fiscales ».

Quitte à chasser sur les traces de l’extrême droite, même si la majorité présidentielle s’en défend. « Les fraudes, c’est un coup de canif au pacte républicain. Il ne peut pas y avoir solidarité entre les Français si certains, par des comportements répréhensibles, s’exonèrent de leur responsabilité », expose le député Renaissance Mathieu Lefèvre.

« Scandaleux de mettre sur le même plan fraude sociale et fraude fiscale »

Mais à quoi joue réellement le gouvernement, lui qui promet de présenter un plan détaillé au mois de mai, alors que la fraude sociale dans son entièreté ne dispose d’aucun chiffre fiable ? « Il faudrait leur demander », lance amèrement Maxime Combes. Membre de l’Observatoire des multinationales, l’économiste détaille. « C’est scandaleux de mettre sur le même plan fraude sociale et fiscale. La fraude fiscale, c’est 80 à 100 milliards d’euros. La fraude sociale, si l’on prend juste la CAF, c’est entre 1 et 2 milliards par an [2,8 milliards par an en 2021 selon l’AFP]. On a un éléphant au milieu de la pièce, et on s’intéresse à celui qui a piqué un bonbon au fond de la salle. »

D’autant que l’exécutif omet de parler des sommes économisées par l’Etat au titre du non-recours, avec des milliers de personnes qui ne réclament pas les aides auxquelles elles auraient pourtant droit. « Pour le RSA, on parle de 34 % de personnes normalement bénéficiaires qui ne le réclament pas. Pour le minimum vieillesse, c’est une personne sur deux qui omet de le demander, soit un milliard d’économies par an », précise Maxime Combes, qui expose des données de la DREES.

Doublement des effectifs pour renforcer les contrôles

Pour lutter davantage contre la fraude, Gabriel Attal, ministre de l’Action et des Comptes publics a assuré vouloir « doubler les effectifs du service d’enquête judiciaire des finances ». « On veut s’appuyer sur trois mesures fortes : l’interdiction du versement des allocations sur des comptes non européens [à partir de juillet], l’harmonisation des conditions de résidence pour obtenir ses aides, et l’accès au fichier des voyageurs pour pouvoir faire des contrôles », abonde Mathieu Lefèvre.

Des mesures qui laissent Maxime Combes de marbre. « Les services de contrôle administratif ont perdu plus de 3.000 emplois depuis 2008. Entre 2008 et 2019, on est passés d’un million à 440.000 contrôles sur pièce. Il faut de la continuité dans l’action contre la fraude fiscale pour que ce soit réellement efficace. »

Resserrer l’étau sur les particuliers, à défaut d’arriver à atteindre les objectifs avec les entreprises. Malgré des « résultats historiques » en 2022 salués par Gabriel Attal, Bercy a encore du mal à combler les trous dans la raquette, notamment concernant la fraude aux cotisations. En vert, les 788 millions « redressés » par l’Urssaf l’an dernier. En rouge, un manque à gagner de 6 milliards d’euros lié au « travail dissimulé », souligne le Haut conseil pour le financement de la protection sociale, comme le rappelle l’AFP. Une instance qui suggère de cibler en priorité : le travail détaché, les microentreprises et les sociétés « éphémères ». On est loin du discours porté par le gouvernement.