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Immeubles effondrés à Marseille : « Je ne veux pas aller ailleurs »… Pour les délogés, la crainte de la double peine

Diana a enfilé un anorak rouge. Un habit pioché dans un des cartons de vêtements disposés dans le lobby de l’hôtel. Comme son pantalon noir, son haut couleur léopard, ses baskets et tous les vêtements qu’elle porte depuis quatre jours. Des dons destinés aux délogés des effondrements d’immeubles à Marseille. Habitante du troisième étage du 24 rue de Tivoli, son immeuble est celui qui fait face exactement au 17, d’où est partie l’explosion.

Durant son évacuation, elle n’a rien pu emporter, si ce n’est quelques-uns de ses bijoux qu’elle n’ôte jamais, comme son collier soutenant un pendentif de cèdre du Liban, son pays d’origine. Sans famille à Marseille, elle a été relogée comme d’autres dans sa situation dans un hôtel à proximité de la gare Saint-Charles. Nadia erre sur la terrasse, où défilent à intervalle régulier des voyageurs insouciants et leurs valises à roulette.

« Je suis bien dans ce quartier, je ne veux pas aller ailleurs ! »

« Ça me manque d’être chez moi, avec mes affaires », formule-t-elle dans un souffle. Nadia parle vite, rit, s’interrompt, puis fond en larmes. Elle ne va pas très bien. « Je vois encore le feu. La poussière. Anne-Marie me faire coucou par la fenêtre d’en face. » Anne-Marie est morte avec son époux Jacques. Ces deux septuagénaires ont été les deux premiers corps à être découverts dans les décombres d’où les huit victimes ont été à présent toutes extraites et identifiées.

Vu la localisation de son immeuble, fortement exposé au souffle de l’explosion, son retour dans l’appartement qu’elle louait depuis quinze ans prendra du temps, si toutefois il reste possible. « Deux policiers sont venus m’annoncer que je restais à l’hôtel jusqu’au 28 avril », témoigne Diana. « Je comprends, et quand je rentrerai chez moi, je veux être sûre d’être en sécurité. Mais je suis bien dans ce quartier, je ne veux pas aller ailleurs ! », craint-elle. Ce serait en effet la double peine : celle de vivre un drame, de tout perdre ou presque, y compris sa vie de quartier et sociale.

La question du relogement des habitants du drame de la rue de Tivoli, dont ceux les plus éloignés du lieu de l’explosion devrait pouvoir à regagner leur domicile vendredi, se fait toutefois prégnante et sensible pour les personnes comme Diana, dont les immeubles ont souffert et devront être soit détruits, soit subir de longs travaux. Une expérience des relogements que possède malheureusement la ville de Marseille depuis le drame de la rue d’Aubagne, après lequel s’est constitué le collectif du 5 novembre (du 5 novembre 2018, jour de l’effondrement de la rue d’Aubagne, qui avait fait huit morts également).

Reloger dans un marché immobilier sous tension

Ce collectif avait établi, conjointement avec la mairie et la préfecture, une charte du relogement. « Le dispositif d’accueil est très correct », juge Kevin Vacher, membre de ce collectif. Le jeune homme fait part toutefois de quelques motifs d’inquiétude pour la suite : « La charte prévoit que les loyers ne sont pas dus lorsqu’il s’agit d’un relogement pour un arrêté de péril, ce qui n’est pas le cas dans cette situation », pointe-t-il. « On espère que la ville et la préfecture feront le nécessaire ». Notamment pour les habitants qui se retrouveront contraints d’être éloignés de leur domicile plusieurs semaines. Et pour ces personnes, afin d’éviter que les séjours à l’hôtel ne s’éternisent, et qu’elles puissent retrouver, si elle le souhaite leur quartier et un vrai logement, Kévin Vacher propose une solution qui peut paraître radicale : « La réquisition temporaire des Airbnb. »

Le quartier du Camas et ses voisins de la Plaine et des Réformés sont en effet trois quartiers réputés pour abriter bon nombre de meublés de tourisme, accentuant une pression immobilière déjà forte du fait de l’attractivité actuelle de la ville de Marseille, et plus particulièrement de ces quartiers. Dans ces conditions, comment permettre à la dizaine de familles qui devraient perdre définitivement ou durablement leur logement, (trois immeubles sont entièrement détruits et deux, au moins, présentes d’importants dégâts) de rester habiter dans le quartier et de s’y reloger ?

Si les autorités ne peuvent pas intervenir sur le parc privé, qui compose l’immense majorité des logements, ils peuvent se retourner vers la Sogima, société immobilière d’économie mixte, qui propose également des logements en secteur libre. Le parc immobilier de la préfecture pourrait aussi être éventuellement sollicité pour permettre aux habitants qui le souhaitent de rester dans le quartier, ou au plus proche. Pour ceux qui retrouveraient dans le parc privé, le sujet du montant des loyers, qui ont flambé à Marseille depuis le Covid-19, pourrait par ailleurs se poser. Autant de questions auxquelles vont faire face les victimes et la municipalité du Printemps Marseillais, l’actuelle majorité, qui s’était formée en réaction au drame de la rue d’Aubagne.