France

Grève contre la réforme des retraites : Bloquer une raffinerie est une opération « délicate »

Durcir le mouvement contre la réforme des retraites dans les raffineries est plus facile à dire qu’à faire. Malgré la volonté des syndicats du pétrole d’arrêter la production, les salariés renâclent à entrer dans une démarche techniquement délicate, au risque de perdre en pouvoir de nuisance.

Aux raffineries TotalEnergies de Feyzin (Rhône) et de Normandie, la plus importante de France, le blocage des expéditions de carburants pendant près d’une semaine a abouti à une saturation des bacs de produits, risquant de nécessiter un arrêt de la production. Mais ce week-end, les grévistes « ont acté avec la direction » qu’ils laissaient sortir des produits pour pouvoir continuer la grève « sans arrêter les installations », ont confirmé à l’AFP deux sources syndicales.

L’arrêt d’une raffinerie peut être déclenché de deux manières : par un blocage des expéditions qui, une fois que les stocks sont pleins dans la raffinerie, pose de toute façon la question de l’arrêt pour raisons de sécurité ; ou par une demande directe aux responsables du site parce que les grévistes le souhaitent.

Une opération délicate

Parmi les hypothèses pour expliquer ces réticences, l’aspect pécuniaire vient à l’esprit, quelques mois après une grève très dure pour les salaires : ce conflit « a eu un impact, c’est évident », reconnaît Christophe Aubert, délégué CGT Esso-ExxonMobil, tout en précisant immédiatement que « ce n’est pas la seule raison ». D’autres sources syndicales balayent d’ailleurs cet argument : « ce n’est pas une question d’argent », assure une source syndicale à la raffinerie de Feyzin, qui évoque les « caisses de solidarité » mises en place.

Un motif est en revanche souvent évoqué : l’arrêt d’une raffinerie est une opération délicate. « On est dans des installations en métal qui pour certaines vont passer, quand elles s’arrêtent, de 1.000 degrés à 20 degrés, ensuite on va les repasser à 1.000 degrés quand on les redémarrera », indique à l’AFP Olivier Gantois, président de l’Ufip, syndicat professionnel des entreprises pétrolières. Il souligne que le métal « ne subit pas des variations de températures comme ça de façon anodine, il faut le faire de façon très progressive ».

Stress pour les employés

« Quelle que soit l’activité industrielle, c’est un gros sujet de redémarrer une exploitation », souligne Paul Poulain, spécialiste de la question du risque dans les sites Seveso et auteur du livre Tout peut exploser. « Ça veut dire qu’il faut tout revérifier comme si on recommençait à lancer le site pour la première fois. Ça multiplie le nombre de procédures, donc forcément plus vous avez de procédures, plus vous avez de risques qu’il y en ait une qui se passe mal », ajoute Paul Poulain.

Une contrainte qui explique que l’arrêt d’installation peut prendre trois à quatre jours, et le redémarrage jusqu’à une, voire deux semaines. « Pour les salariés aussi, c’est toujours un peu des moments tendus », confie Eric Sellini, coordinateur CGT pour le groupe TotalEnergies. En octobre dernier, la mise à l’arrêt de la raffinerie de Normandie n’a pas laissé de bons souvenirs, selon lui.

Reste la question de la mobilisation : alors que la CGT a fait état lundi de 90 % de grévistes à la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique) et 70 % à la bioraffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône), elle n’avait pas de chiffres à communiquer pour Feyzin et Normandie. Pour autant, un passage en force gouvernemental par le « 49.3 » pour faire adopter sa réforme des retraites pourrait changer la donne, selon Christophe Aubert : « c’est évident que ça mettra la France à l’arrêt beaucoup plus fortement ».