France

Discriminations capillaires : Bientôt une loi pour « que les mentalités évoluent » ?

On y passe tous plus ou moins de temps, à bavarder de la météo et des prochaines vacances. On n’y ose pas vraiment faire remarquer que l’eau du shampooing est trop chaude, pour ne pas avoir à couper une discussion enflammée sur l’actualité. Vous l’avez deviné, le coiffeur fait partie de notre vie, avec plus ou moins de fréquence et d’infidélité, selon son efficacité. Mais, si derrière la tondeuse et les coups de ciseaux, se jouait bien plus qu’une frange ratée ou un dégradé d’enfer ? Telle est la question soulevée par Olivier Serva (Liot). Le député de Guadeloupe travaille sur une proposition de loi visant à reconnaître et sanctionner « la discrimination capillaire ». Avec, pour point de départ, une compagnie aérienne, des tresses africaines, et un steward qui obtient gain de cause après dix ans de bataille juridique…

« Un sujet souvent marginalisé, pas pris au sérieux »

En novembre 2022, la Cour de Cassation estime qu’Air France ne peut interdire le port de tresses afro à ses stewards. Le plaignant avait entamé une procédure aux Prud’hommes en 2012, après avoir travaillé pendant des années avec une perruque. « Il l’a emporté sur la base de la discrimination hommes-femmes, et non sur la discrimination capillaire. On s’est dit qu’il y avait un trou dans la raquette. On veut compléter l’article 225-1 du Code pénal, qui traite des discriminations », commente Olivier Serva. Et de citer des chiffres tirés d’une étude récente menée par Dove et LinkedIn menée aux Etats-Unis, où les sondages ethniques sont autorisés : près de deux tiers des femmes afro-américaines interrogées disent changer de coupe de cheveux lorsqu’elles postulent.

« En France aussi, les personnes non blanches sont conscientes des discriminations qui pèsent sur leurs cheveux. Elles se coiffent en fonction de leur carrière professionnelle, note Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice et autrice d’Afro !, un livre sur la question. C’est un sujet qui est souvent marginalisé, pas vraiment pris au sérieux ».

Pour le parlementaire, en plus de l’employabilité, ce sujet du cheveu englobe plusieurs autres réalités, notamment la santé. « Les femmes qui utilisent des produits chimiques pour se défriser les cheveux ont trois fois plus de risque d’avoir un cancer de l’utérus ou trois fois plus de risque d’avoir des fibromes », détaille-t-il. Autre souci, économique cette fois : aller chez le coiffeur a un coût, « surtout en cette période ».

Légiférer… Puis pénaliser

Changer d’apparence physique pour épouser les « normes », faire face aux railleries de ces collègues, ne pas être embauché à cause de sa coupe afro, etc. Ce sont autant d’autres problèmes auxquels font face bon nombre de femmes et d’hommes racisés. Avec une législation plus ou moins protectrice. « Aux Etats-Unis, le Crown Act, a été voté pour interdire la discrimination capillaire. Cette question est plus présente depuis longtemps, parce que la communauté afro-américaine y est plus mobilisée et plus visible. Les questions qui la touchent atteignent plus facilement les sphères mainstream, éclaire Rokhaya Diallo. En France, il ne faut pas qu’on raisonne en matière de retard mais en termes de compréhension des questions raciales. Il y a peut-être un déni plus fort. »

Sur le plan législatif et côté jurisprudence, « tout est déjà présent pour réprimer les discriminations liées à un élément capillaire, estime Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Aussi bien la loi que l’interprétation qui en est faite nous arment face à la discrimination capillaire. Ce qui est important, c’est la répression sur le plan pénal, et il n’y en a pas sur la question. »

Le militant n’hésite pas à rappeler un triste constat : en 2021, il y a eu « zéro condamnation pour discrimination raciale en France ». Car, une fois que la discrimination est constatée, comment la rendre effective et surtout comment la prouver ? « L’applicabilité, c’est une difficulté, reconnaît le député de Guadeloupe. Il va falloir que les mentalités évoluent. »