France

Depuis Marseille, «les multinationales» de la drogue exportent la violence

De procès d’assises en règlements de comptes – qui ont déjà fait près de 20 morts cette année –, il ne se passe pas, hélas, une semaine à Marseille sans que la violence des réseaux de trafics de drogue ne fasse l’actualité. Une violence qui dépasse aussi régulièrement les faubourgs des quartiers Nord de la ville. Rien que pour ces deux derniers mois, Arles (trois blessés le 18 avril), Aix-en-Provence (quatre blessés le 20 avril), Cavaillon (deux morts le 1er mai), Avignon (deux morts le 10 avril et le 5 mai), autrement dit la grande banlieue de Marseille, ne sont pas épargnés par les fusillades à l’arme de guerre et les règlements de comptes.

Une logique d’expension

Mais les morts de « la guerre des stups » se comptent aussi bien au-delà de la grande région marseillaise. A Nice, les fusillades sont devenues régulières. Cette semaine, quatre personnes ont été abattues à Valence (Drôme) avec des procédés qui s’apparentent à des règlements de comptes. Plus au nord, c’est à Besançon, où deux hommes ont été tués en février. Un double homicide pour lequel un Marseillais a été arrêté. Plus au sud, à l’étranger même, c’est en Espagne le 3 mai dernier, que deux Marseillais ont trouvé la mort dans une fusillade. Dans une affaire actuellement devant la cour d’assises d’Aix, on peut apprendre en annexe de la procédure qu’une fusillade de Toulouse est imputée à l’équipe marseillaise faisant face aux juges. Un sinistre inventaire à la Prévert que l’on pourrait poursuivre et qui soulève la question de l’influence des réseaux Marseillais de trafics de drogue.

« [Les réseaux de] Marseille essayent de s’étendre parce que le commerce est énorme », remarque une source policière. Le business, dont les recettes sont estimées à 150 millions d’euros par an pour la seule ville de Marseille, (trois milliards pour la France) est en effet juteux. Ce qui situe le trafic de drogue en matière de chiffre d’affaires au même niveau qu’une société comme la Société des Eaux de Marseille, filiale de Veolia. Et dans un univers concurrentiel, conquérir de nouvelles parts de marché est essentiel. A la différence que dans cette économie informelle, celles-ci s’obtiennent bien souvent les armes à la main. « On sait que les réseaux de narcotrafiquants cherchent à s’étaler, sur d’autres quartiers, d’autres réseaux, et même d’autres villes. Un phénomène assez nouveau qui date de ces cinq dernières années, là où auparavant c’était un épiphénomène », observe une seconde source. « Au début on louche sur le quartier d’en face, puis la ville voisine et aujourd’hui par exemple, c’est Nice qui fait l’objet d’une OPA des réseaux Marseillais. Sur Dijon aussi, selon la PJ, ce serait des Marseillais à la manœuvre », affirme-t-il. Une situation qui évolue si rapidement ces derniers temps qu’il en devient difficile même pour la PJ de savoir qui fait quoi actuellement : « Ça bouge tellement que fort, ça en devient confus », explique notre première source. « C’est un travail de longue haleine qui va prendre du temps », conclut-il.

Pour autant, il ne faut pas voir derrière chaque fusillade des opérations d’intimidations ou des tentatives de conquête de terrain. « Il y a aussi des effets d’opportunisme. Comme à Aix dernièrement, où finalement c’est le seul moment où ils ont pu coincer le type », poursuit cette source. Comme à Paris aussi, où Karim Tir, un ex-gros bonnet des réseaux marseillais qui fut également un temps le producteur du rappeur Jul, a été assassiné en 2014 devant un hôtel chic. Ou encore plus récemment en Espagne, comme raconté plus haut.

Du Maroc à la Colombie

Reste que cela démontre la puissance des réseaux marseillais. « On a affaire à de véritables multinationales contre lesquelles on essaye de lutter, mais sans les moyens de la DEA [agence fédérale américaine de lutte contre les trafics de stupéfiants] », regrette un policier marseillais. Outre les liens historiques qu’il existe entre les narcotrafiquants marseillais et le Maroc, producteur de haschich, ces derniers « développent à présent des réseaux Sud Américains pour la cocaïne ». A l’image d’Ahcen M. un narco marseillais soupçonné de meurtre qui a été interpellé en octobre 2021 sur une île colombienne. « Et encore, il ne s’agit pas d’une tête mais du bras droit d’un petit réseau », avance notre interlocuteur. « Ça laisse songeur quant aux capacités des autres ».

Entre puissance financière et ramification internationale, cette envergure laisse craindre une « mexicanisation », voire une « cartellisation » des réseaux marseillais. « Je ne le pense pas, cela suggérerait qu’une seule organisation ait le monopole de son activité sur la ville. Or, les guerres de territoires prouvent que ce n’est pas le cas », observe Jean Rivalois, chercheur à l’IRD et spécialiste des Cartels sud-américains.

Cette guerre de territoire n’en finit plus d’ensanglanter Marseille, avec des victimes et des tueurs de plus en jeunes. Dans la triple fusillade survenue le 4 avril dernier à Marseille, où quatre hommes dont deux adolescents ont trouvé la mort. Pour l’une d’entre elles, quatre personnes ont été mises interpellées dont un jeune de 18 ans qui a été présenté un juge. « Apparement, c’est une équipe qui venait de Paris », glisse un renseignement policier. Preuve que si les réseaux marseillais essaiment, cherchent à s’étendre et exportent la violence, ils sont aussi force d’attraction.