France

Convention citoyenne sur la fin de vie : « On a vécu des débats animés et une expérience unique »

C’est un coup de fil qu’il n’aurait jamais imaginé recevoir. Doctorant en physique, Ernest consacre son temps à sa thèse portant sur la mécanique des fluides. Mais pas que. Depuis quelques mois, le jeune homme de 25 ans est l’un des 184 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Lancée en fin d’année par le chef de l’Etat, cette convention, à l’instar de celle qui l’a précédée sur le climat, devrait servir de base à une nouvelle loi sur la fin de vie, qui pourrait ouvrir en France le droit de bénéficier d’une aide active à mourir.

Ce week-end, les 184 membres se retrouvent pour leur neuvième et dernière session de travail au palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese), chargé d’organiser ces travaux. Une ultime session durant laquelle ils vont finaliser le document qu’ils remettront au gouvernement. Dans la foulée, Ernest et ses 183 autres camarades citoyens seront reçus ce lundi au palais de l’Elysée.

A quoi ça ressemble, de faire partie de cette Convention citoyenne sur la fin de vie ? Ernest partage son expérience avec 20 Minutes.

Comment s’est passée l’annonce de votre tirage au sort et comment avez-vous réagi ? Avez-vous songé à refuser ?

Un matin, j’étais dans le train, j’ai reçu un appel m’annonçant que j’avais été tiré au sort pour participer à la Convention citoyenne sur la fin de vie. J’ai d’abord été sceptique, avec tous les appels bizarres qu’on peut recevoir ! Mais l’interlocuteur du Cese m’a expliqué en quoi la convention consistait, puis m’a envoyé par mail de la documentation pour que je puisse me décider en connaissance de cause.

Autant j’avais entendu parler de la Convention citoyenne sur le climat, dont j’avais suivi le déroulement parce que les thèmes m’intéressaient, autant je ne savais pas du tout jusqu’à cet appel qu’il devait y en avoir une sur la fin de vie. C’est une thématique qui ne me parlait pas, sur laquelle je n’avais pas de connaissances, pas d’expérience, et pas vraiment d’avis jusque-là. J’en ai parlé avec mes proches, et tous m’ont encouragé à vivre cette expérience. Au départ, c’est plus la démarche que le thème qui m’a donné envie de participer, mais je n’ai pas envisagé de refuser. C’est un exercice démocratique et citoyen unique. Mais avant de confirmer ma participation, j’ai consulté mes encadrants de thèse pour m’assurer que le fait de m’absenter le vendredi à neuf reprises n’allait pas poser problème, et ils m’ont donné le feu vert.

Comment les sessions se passent-elles? Comment vous êtes-vous forgé un avis sur les préconisations à faire?

Je vis en Occitanie, je prends le train tôt le vendredi matin pour rejoindre le palais d’Iéna à Paris. Les sessions de travail commencent à 13h30, se poursuivent le samedi toute la journée et le dimanche matin. Ce qui est bien pensé, c’est que les sessions sont programmées un week-end sur deux, cela laisse le temps de souffler, parce qu’enchaîner la semaine de travail et le week-end la convention et ainsi de suite, ça aurait été lourd.

La convention est organisée en trois phases: appropriation du sujet, débats et délibérations, et restitution. On a d’abord auditionné des experts: beaucoup de médecins, soignants et psychiatres, des représentants des cultes religieux ou encore des philosophes. De quoi « débroussailler » le sujet et acquérir un socle de connaissances avant l’étape suivante, même si en réalité l’apprentissage a été continu.

Dès le départ, on a aussi eu un très gros socle documentaire, avec des témoignages, des livres et toute la chronologie des différentes lois sur fin de vie adoptées depuis la fin des années 1990. Et nous sommes nombreux parmi les membres à avoir voulu en savoir plus, sollicité d’autres experts et à avoir pris l’initiative de visiter des unités de soins palliatifs. Cet échange sur le terrain avec le corps médical permet de voir ce qui se passe réellement.

Et comment se sont passés les débats? Ont-ils été enflammés?

On pourrait se dire qu’à 184 dans un hémicycle, les choses peuvent vite déraper, mais ce qui m’a frappé, c’est que tout le monde a toujours été à l’écoute, il n’y a jamais eu de moments tendus. C’est comme si on se sentait tous tenus par une forme de contrat tacite entre nous: c’est un sujet complexe et sensible, on a des opinions différentes et on les respecte toutes. Après, les débats ont été riches et animés, avec des positions de plus en plus marquées à mesure qu’on a avancé dans le processus et étoffé nos connaissances et arguments. Même si individuellement, on reste sur notre position, débattre avec des gens qu’on n’aurait jamais croisés, aux opinions et profils différents des nôtres permet de se confronter à ce qu’on pense, de consolider notre avis. C’est vraiment une réflexion individuelle et collective.

Toutefois, si les débats en hémicycle sont les plus marquants, ce n’est pas la méthode de travail principale, on ne se retrouve pas systématiquement à 184. Tous les week-ends, on est répartis de manière aléatoires en groupe de dix, avec des thèmes à travailler, puis des mises en commun de nos échanges par groupe de trente. Ces séances en plus petit comité permettent de préparer les arguments pour les débats dans l’hémicyle.

N’est-ce pas trop éprouvant?

Non, le rythme et l’organisation sont bien pensés. Et puis, durant ces week-ends de travail où on est loin de chez nous, les soirées sont des temps où on se relâche, on va prendre un verre, on discute, ce sont des moments vraiment agréables, on décompresse en parlant d’autres choses que la fin de vie.

C’est une expérience unique, qui fait aller vers les autres et sortir des cercles dans lesquels on évolue, avec des rencontres que je n’aurais jamais faites, et des gens que je compte bien revoir! Il y a dans cette aventure particulière un côté humain très fort, qui apporte beaucoup.

Et comment se sent-on de porter la responsabilité d’une telle réflexion, qui a vocation à déboucher sur une loi, et potentiellement ouvrir le droit d’avoir une aide active à mourir?

Au début, je ne m’en rendais pas trop compte, mais je me sens vraiment chanceux d’avoir été tiré au sort. Aujourd’hui, après tout ce travail, je me suis forgé un avis, je peux le défendre avec des arguments précis, et j’ai l’impression d’avoir fait le travail qu’on attendait de moi.

Ce qui m’a guidé, c’est la question qui nous a été posée: « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées, ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits? » On a évidemment beaucoup parlé et débattu de l’aide active à mourir. On s’est prononcés en faveur de son ouverture, mais l’idée, c’est de pouvoir rendre compte de la pluralité des avis exprimés au cours des neuf sessions de travail, et que cela se retrouve dans le document que nous allons remettre à l’exécutif.

Il y a aussi tout un volet très important sur l’application de la loi Claeys-Leonetti, sur la mise en place d’un accès effectif à tous aux soins palliatifs. Un objectif qui n’a à ce jour pas été atteint. C’est un point central dans les conclusions que nous allons rendre, avant d’être reçus lundi à l’Elysée. Cette journée va acter la fin de la convention.

Qu’attendez-vous pour la suite? Redoutez-vous que, comme pour la Convention citoyenne pour le climat, peu de vos propositions soient retenues?

Déjà, je suis content de la manière dont cette convention s’est passée, j’ai apporté ma contribution au travail collectif. Notre document sera une base de travail, une parole citoyenne qui s’ajoute à la parole d’experts du CCNE. Et maintenant, ça va devenir plus politique.

Une loi va-t-elle en ressortir? Je ne sais pas, mais je veux être optimiste, j’espère que notre travail servira. Je serais déçu si ce n’était pas pris en compte mais je suis confiant, on a rempli notre part du travail d’une belle manière. Je vais être attentif à la suite des événements, mais maitenant, il faut accepter le passage de relais.