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CanneSeries 2023 : « Je rêve de créer une série », confie Marina Rollman

Elle a accepté de faire partie du jury de la compétition séries courtes à CanneSeries. L’humoriste et chroniqueuse Marina Rollman délaisse la scène pour se consacrer désormais à l’écriture de scénarios. Sur la Croisette, elle évoque pour 20 Minutes ses liens avec le monde de la fiction télévisée.

Qu’est-ce que cela représente pour vous être membre du jury ?

Je trouve cela très compliqué, plus je travaille dans l’art et dans l’audiovisuel en particulier, plus je me rends compte que c’est un accident et un alignement de planètes fous de réussir à faire un truc. Il y a des gens très honnêtes et très bosseurs qui foirent des choses. Et j’ai toujours un peu complexé à l’idée d’émettre un jugement. Ce n’est jamais nul, il n’y a jamais de fumisterie quand on est X dizaines de personnes à bosser sur un projet pendant plusieurs années. Malgré tout, voici mon prisme : on ne voit ici quasiment que des pilotes, les diffuseurs et les distributeurs attendent d’un pilote qu’il accroche. C’est donc une de mes grilles de lectures, et je crois aussi pour mes collègues du jury. Il faut que cela tienne cette promesse, et c’est un critère objectif. J’attends de découvrir des arènes et des tonalités rafraîchissantes, qu’on n’a pas déjà vues 150 fois. Je suis hyperheureuse d’être ici, parce que le métier que j’essaye de faire depuis des années, c’est le scénario. Et comme je n’ai pas fait d’école de cinéma, c’est super inspirant ! Je vois un concentré de plein de récits très différents issus de plein de pays. Je ressors de là et j’ai envie d’écrire !

Il s’agit de la compétition séries courtes, quelles sont les difficultés particulières qui sous-tendent ce format ?

Quand on met l’étiquette de formats courts, on pense à des pastilles comme à l’époque de Bref. Il s’agit en fait plus du format de sitcom de 26 minutes, on passe généralement à 52 minutes quand il s’agit de drame. Là, la gageure est de réussir à ne pas être dans l’anecdotique tout en restant haletant. Comme on ne peut pas faire du Mad Men avec de très longs plans, la question est de savoir comment on amène quand même la notion de contemplation, de beauté cinématographique tout en étant dans ce format hérité des soaps, contraint par les coupures publicitaires. Créer des mini-actes dans ce format, je pense que c’est cela le pari compliqué : balancer tout en gardant l’attention des gens, tout en ayant un truc de fond et des ambitions d’images et de mood.

Vous avez écrit et réalisé un épisode de la minisérie d’anthologie « 6 x confin.é.e.s », que retenez-vous de cette expérience ?

C’était le second court métrage que j’écrivais et que je réalisais. Je rêve de faire cela ! J’écris beaucoup, pas mal pour les autres, pour apprendre le métier, et aussi un peu pour moi. La première chose que j’espère pouvoir faire, plutôt que de passer au long métrage tout de suite, ce serait de faire de la série, plutôt un format court. Mais c’est un rêve, c’est ce que j’essaye désespérément de vendre actuellement et que j’aimerais réaliser. L’écriture de laquelle je viens, celle de la scène et de la chronique, est plus facile à incarner en série où il y a une arène et où l’on peut mettre des coups de projecteur sur des bouts d’histoires et puis en faire une grande fresque, plutôt que sur un film, où là, rien ne pardonne structurellement. C’est vraiment le format qui m’intéresse pour le moment.

De Jerry Seinfeld à Agnès Hurstel, pourquoi les liens entre stand-up et série sont-ils si forts selon vous ?

Je n’ai pas l’analyse sociologique absolue, mais, pour moi, malgré le fait qu’être humoriste est un très beau métier, c’est un grand métier de solitude. Se lancer dans l’aventure de groupe, d’équipe, et aussi de la compromission artistique, dans le sens où il va falloir composer avec plein d’autres talents, je pense qu’à un moment cela devient un besoin quand on s’est retrouvé un peu seule en tournée et sur scène. Je crois également que la plume un peu psychosociologique des stand-uppers qui veulent croquer une époque s’incarne mieux dans une série plutôt que dans un film.

Quel est votre rapport en tant que spectatrice aux séries ?

J’en ai regardé beaucoup, un peu moins depuis un peu plus d’un an. Je sors de tournée où j’ai beaucoup travaillé les soirs, et j’ai envie de me rattraper côté soirées. J’en regarde donc un peu moins. J’ai un peu honte, mais, à la maison, on a l’impression que s’engager dans un film, c’est comme un contrat de bail et qu’on ne va jamais pouvoir tenir sur la durée… Mais d’épisodes en épisodes, on peut passer trois heures devant une série. J’essaye de tordre un peu cela en allant beaucoup au cinéma. Mais à la maison, c’est comme si on regardait différemment et qu’on se disait que c’était mieux de se lancer dans une série.

Quelle série regardez-vous actuellement ?

La série que je suis vraiment, c’est Succession. La série est une forme géniale et cela fait émaner des voix et des propositions formelles qu’on ne peut pas toujours faire en film. Il y a des croisements de personnages, des manières de raconter des histoires, même des astuces de types de récits que je trouve hyperexcitants.

Dans vos courts métrages « Gratitude » ou « Gina », vous faites la chronique de femmes bien sous tous rapports qui pètent les plombs…

Complètement ! C’est vraiment mon axe, on peut se reparler dans cinquante ans, à mon avis, cela restera ! On peut dire qu’il y a un tropisme familial, on est toutes tarées chez moi. (rires) C’est hyperjouissif de montrer les femmes crades, coupables, vengeresses, meurtrières, sexuelles… Je ne dis pas que cela n’a jamais été fait, ni que je suis en train de révolutionner le truc, mais de mon petit point de vue, pour l’instant, c’est ça qui m’excite !

Avez-vous le sentiment que les personnages féminins sont plus intéressants dans les séries ?

Dans la mesure où on a besoin d’aller explorer la domesticité, des petits rapports de force un peu cruels, des choses un peu perverses qui se logent dans le quotidien, j’ai l’impression que la série est un meilleur véhicule que l’épopée filmique. Même si c’est super d’avoir des héroïnes dans un film, la série permet d’aller un peu gratter dans le quotidien et la petite mécanique écrasante. Effectivement, il y a un truc entre femmes et séries qui matche bien.

« Enlighted » de Mike White fait-elle du coup partie de vos séries cultes ?

Je ne l’ai toujours pas vue ! Je sais que c’est une référence. Mais, c’est vrai, j’ai tellement tourné autour de ce sujet. J’ai essayé d’écrire plein de trucs autour du développement personnel et de l’industrie du wellness chez les femmes. Gwyneth Paltrow est vraiment une figure qui m’inspire de ouf ! Elle me fout les nerfs, mais je la trouve fascinante. Il va vraiment falloir que la mate. L’hystérie de celle qui a trouvé la paix intérieure, alors que pas du tout, c’est génial !

Quelle est votre série culte ?

La série qui a complètement changé mon regard sur ce qu’il était possible de faire, c’est High Maintenance, une série HBO un peu anthologique qui devient feuilletonnant à un moment sur un vendeur de weed qui nous fait rentrer dans des mondes un peu parallèles. C’était une proposition sur du 26 minutes avec une ambition cinématographique, quelque chose de très contemplatif tout en étant hyperréaliste et naturaliste, et très drôle parfois. Ils ont réussi un truc avec une patte ciné dingue dans la série !