France

A Nantes, l’hyperréalisme sort de l’ombre et chamboule nos émotions

« Mais que fait ce visiteur chelou derrière moi, la tête collée contre le mur ? » On était prévenue mais l’illusion est tellement parfaite que l’on s’est surpris à se poser cette question un peu bête… Depuis ce vendredi et jusqu’au mois de septembre, une trentaine de sculptures plus vraies que nature se sont installées dans le patio du musée d’Arts de Nantes, pour l’expo Hypersensible, un regard sur la sculpture hyperréaliste. Et c’est carrément troublant.

« L’exposition vise à explorer le caractère profondément humain et sensible de l’hyperréalisme en nous faisant rencontrer des corps d’hommes, de femmes, en entier ou en fragments, indique à 20 Minutes Katell Jaffrès, la commissaire scientifique. Ici, la figure humaine et sa complexité sont au cœur de la démarche des artistes qui vont s’intéresser au corps bien sûr, mais aussi à l’individualité, l’esprit, l’apparence, au statut social, ou à l’intimité. »

« Ces artistes vont nous chercher dans une zone où l’on ne va plus »

Grâce aux techniques du moulage, du travail du bronze ou du silicone, l’hyperréalisme, qui a pu créer la controverse, a prospéré en même temps que le pop art, pour disparaître dans les années 1980. Mais le XXIe siècle semble sonner comme son grand retour, avec une récente exposition itinérante (qui s’est achevée le mois dernier au musée Maillol à Paris) sortant l’hyperréalisme de l’ombre. Une coïncidence, selon la directrice du musée d’Arts, mais pas si surprenante. « La France s’était jusqu’ici très peu intéressée à ce mouvement, peut-être parce qu’il était trop loin de la conception de la beauté traditionnelle. Mais aujourd’hui, avec le téléphone portable, le confinement, il n’y a pas de pays plus mystérieux que le corps de l’autre, qui est devenu quelque chose de très abstrait, estime Sophie Lévy, la directrice. Ces artistes vont nous chercher dans une zone où l’on ne va plus, comme une pulsion universelle. »

Pourquoi cette pom-pom girl a-t-elle l’air si mélancolique ? Quelle est l’histoire de cette femme, dont le regard ne nous inspire pas vraiment confiance ? Et ces mains, à qui appartiennent-elles ? Les questions se bousculent dans les têtes au fur et à mesure de la visite. Cet art figuratif, né dans les années 1960 aux Etats-Unis, place effectivement le visiteur dans une position bizarre. Habitué à porter un regard sur les choses, il se retrouve cette fois observé, comme devant un miroir.

Entre identification, rejet, surprise ou malaise

Et même si on sait que « c’est pour de faux », impossible de ne rien ressentir lors de la déambulation, comme devant ces deux nouveau-nés, nus et vulnérables, dont les plis de la peau et les petites veines les font devenir presque réels. « Ces œuvres nous proposent une rencontre singulière, analyse Katell Jaffrès. Au-delà de la prouesse technique, elles vont mobiliser nos émotions, comme nous fasciner. Devant ces personnes à qui il ne manque parfois que la respiration, il peut y avoir tout un panel de réactions, comme l’identification, le rejet, la surprise, le malaise, etc. Elles nous renvoient vers nos propres ressentis. »

On marque alors un temps d’arrêt devant cette drôle de personne assise derrière son stand de vieux livres, que l’on n’aurait sûrement pas remarquée si on l’avait croisée en vrai, dans la rue ou dans un marché. « Certains artistes comme l’américain Duane Hanson ont réalisé un vrai travail critique et social, indique Katell Jaffrès. Cette sculpture représentant une personne assise et seule explore le côté individualiste de la société américaine, avec des gens que l’on regardait peu. Ici, l’artiste fait de ces personnes, représentées dans leur vie ordinaire, des œuvres d’art. »

Du 7 avril au 3 septembre 2023 à Nantes. Tarif : 9 euros (réduit : 4 euros)