France

Que risque vraiment Dylan Thiry, l’influenceur accusé par Booba de trafic d’enfants ?

« Dylan Thiry, j’suis en conférence zoom avec des députés et des organismes de lutte contre le trafic d’êtres humains à l’international. C’est assez passionnant cher Dydy. T’as fais ton paquetage ou pas encore ? » Dans les minutes (et les jours) qui ont suivi ce teasing, le rappeur Booba a enchaîné frénétiquement les tweets, mêlant vidéos et enregistrement audio attribués à l’influenceur Dylan Thiry. A la clef, des accusations de trafic d’enfants contre l’ancien candidat de Koh-Lanta. Dans ces enregistrements – dont il n’a pas nié être l’auteur –, l’ex star de téléréalité explique à son interlocuteur qu’il peut aider des gens à adopter à Madagascar, un pays dans lequel il s’est rendu à plusieurs reprises avec son association humanitaire « Pour nos enfants ».

Dans son message vocal, l’influenceur cite parmi les potentiels adoptants le nom de Jazz Correira, une autre candidate de télé. La jeune femme lui aurait écrit, selon ses dires, quand il était « une fois à Dubaï et une fois à Madagascar pour adopter ». « Je peux faire en sorte qu’elle adopte. Je fais en sorte de leur (Jazz et son mari Laurent) demander 100.000 euros, minimum, c’est vraiment le minimum. Et je leur dis ‘venez à Madagascar et ils me donnent 100K et moi, je fais tout pour eux pour qu’ils puissent adopter et du coup, sauvez un enfant. Dis-moi ce que tu en penses », explique-t-il. « Après, il y a deux choses, déjà un, je prends un gros billet, et je dis pas que c’est pour moi. Je dis qu’il y a à peu près 150.000 euros de documents à payer, à régler avec les avocats, alors que je prends tout dans ma poche. Et l’autre chose, c’est que ça sauve un enfant, tu vois. Ce sont ces deux trucs-là qui sont positifs », poursuit-il.

Le trafic d’enfant, pas si évident

Et le jeune homme ne s’arrête pas là. Il détaille ensuite à son interlocuteur – son ancienne agente qui serait à l’origine des fuites, selon lui –, comment faire sortir les enfants du pays : « Pour sauver une petite fille, je vais prendre le passeport de n’importe quel pote qui a une fille noire. Il me donne, il va faire une déclaration de perte un petit peu plus tard. Et avec ce passeport, c’est comme si j’étais venu à Madagascar avec elle. Et moi je repars en Europe avec elle ».

« C’est inacceptable. Cela s’appelle du trafic d’enfants et pas besoin d’attendre une loi influenceurs pour poursuivre ceux qui s’en rendent coupables », a immédiatement réagi sur Twitter, Stéphane Vojetta, le député des Français à l’étranger (Renaissance).

Accompagné d’Arthur Delaporte (PS), avec qui il a coécrit la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs, il a déposé un signalement auprès du parquet de Paris, mercredi, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. « Ces déclarations, si elles sont suivies d’effets, pourraient s’apparenter à du trafic d’enfant notamment interdit par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 », ont-ils écrit à la procureure Laure Beccuau.

Problème, le texte, adopté par l’Organisation des Nations unies, ne mentionne pas le trafic d’enfant et ne donne pas non plus de définition. En revanche, ce traité, signé par 197 pays –- dont Madagascar où le projet était supposé et le Luxembourg, dont Dylan Thiry possède la nationalité –, impose « de veiller à ce que les placements d’enfants à l’étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents ». La France, de son côté, a modifié sa législation en février 2022, supprimant les adoptions individuelles. « En d’autres termes, les adoptions dans des pays étrangers doivent être réalisées avec des organismes autorisés, à la fois par la France et par le pays d’origine, en l’occurrence Madagascar », complète Sophie Herren, avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit de la famille et de l’enfant. Or, on ne s’avance pas trop en affirmant que ni Dylan Thiry, ni son association ne sont agréés en ce qui concerne les adoptions à l’international.

Déterminer si les faits sont qualifiés

Le traité impose également aux pays signataires de « prendre toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ». En résumé, il est interdit de se faire de l’argent sur une adoption. S’il existe des frais dans certains pays – essentiellement des frais de dossier, d’avocats ou de traducteurs –, on est très loin des 100.000 euros évoqués par Dylan Thiry : « A Madagascar, par exemple, il faut verser un don de 800 euros l’Autorité centrale de l’adoption malagasy (ACAM) », explique Anne Royal, présidente de l’association Enfance et Familles d’Adoption (EFA), qui précise que ces frais sont très encadrés.

D’autant plus que, depuis février 2022, les adoptions à Madagascar sont suspendues temporairement pour toute personne résidant en France : « On ne peut plus adopter à Madagascar depuis octobre 2022 et jusqu’à octobre 2023 », rappelle la spécialiste, précisant que la décision a été prise après la publication d’un rapport de l’ONU « qui a constaté des difficultés et des irrégularités dans les adoptions sur place ». La date d’enregistrement de ces audios reste inconnue pour le moment.

Mais peut-on vraiment parler de trafic d’enfants ? Selon la définition donnée par la fiche d’information sur les droits de l’Homme et la traite des êtres humains des Nations unies, la traite d’enfants se caractérise par une « action telle que le recrutement, l’achat et la vente, que cette action avait pour fin spécifique l’exploitation. En d’autres termes, il y a traite si l’enfant est soumis à tout acte, tel le recrutement ou le transport, dont la fin est l’exploitation de cet enfant ». De son côté, Interpol précise que « le trafic d’êtres humains a lieu à des fins spécifiques, telles que l’exploitation sexuelle, l’exploitation par le travail, la criminalité forcée et le prélèvement d’organes, entre autres formes d’exploitation ». Selon Ingrid Metton, avocate en droit pénal, droit des étrangers et droit d’asile, du cabinet Chango, contactée par nos confrères de Libération, « dans un cas comme celui-ci, où l’enfant a vocation à être adopté et accueilli par une famille, on ne peut pas qualifier les faits de trafic ».

Et à ce stade, il ne s’agit encore que d’allégations. Difficile donc de les qualifier pénalement. Dylan Thiry a-t-il seulement évoqué ce projet à son interlocuteur, a-t-il tenté de le mettre en place ou est-il allé au bout ? Selon la version de Jazz Correira, elle a bien contacté le jeune homme « il y a deux ans », uniquement pour savoir « s’il connaissait des associations en lien avec des orphelinats sur place », a-t-elle expliqué à nos confrères. Mais elle affirme ne jamais avoir eu de réponse et avoir « découvert » la note vocale. Qu’importe, pour Sofia Massou, avocate pénaliste au barreau de Paris, ils peuvent saisir la justice, même si les faits ne sont pas encore détaillés. « C’est tout l’objet de l’enquête. Ce sont les investigations qui vont permettre de déterminer si les faits sont caractérisés ou non. Si c’est le cas, qu’il y a assez d’éléments à charge, il peut y avoir un renvoi devant une juridiction », détaille l’avocate.

La justice française compétente ?

Et quand bien même les faits seraient caractérisés, encore faut-il que la justice française soit compétente. Et pour cela, « il faut que la victime ou l’auteur présumé des faits soit de nationalité française ou que le lieu de commission de l’infraction soit en France », explique Sofia Massou. Or, Dylan Thiry est Luxembourgeois, il réside à Dubaï, et les faits supposés – s’ils ont eu lieu – se seraient déroulés à Madagascar.

Pour des personnes de nationalité étrangère, la compétence des juridictions françaises ne concerne que des infractions commises en France. « L’autre possibilité serait qu’il ait démarché un Français », précise l’avocate. Et pour le moment, aucun élément ne permet de l’affirmer. Dans certains cas, la justice française peut être compétente pour juger des infractions commises hors du sol français, par des ressortissants étrangers sur des victimes étrangères : « Il y a un certain nombre de crimes où il y a une extraterritorialité, comme les crimes contre l’humanité, de terrorisme ou de torture », ajoute maître Sofia Massou.

Stéphane Vojetta, lui, veut surtout lutter contre l’impunité. « Ces influenceurs se cachent derrière l’extraterritorialité, la plupart étant à Dubaï. La justice peut trouver qu’il y a lieu à des poursuites, mais qu’elle n’est pas compétente. Dans ce cas, elle pourrait saisir ses homologues au Luxembourg ou à Dubaï », espère-t-il. La saisie a visiblement peu de chances d’aboutir, mais Dylan Thiry reste tout de même dans le viseur de la justice. Soupçonné d’avoir détourné des cagnottes en ligne lancées pour des soi-disant voyages humanitaires, l’influenceur de 28 ans est déjà visé par cinq plaintes pour abus de confiance.