Belgique

Violences obstétricales : “La majorité des vécus traumatiques des jeunes mères ne sont pas dus aux comportements anormaux d’un soignant”

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Du côté francophone, les praticiens éprouvent aussi de plus en plus de difficulté à exercer leur profession en toute quiétude. Pour échanger sur cette problématique, le Collège royal des gynécologues obstétriciens de langue française de Belgique (CRGOLF) a organisé le 2 décembre un symposium intitulé “Violences gynécologiques et obstétricales : (in) former pour prévenir”.

”Cela existe, mais ce n’est pas la norme”

Pierre Bernard
Le professeur Pierre Bernard est gynécologue obstétricien aux cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. ©CUSL/HUGUES DEPASSE

Pour le professeur Pierre Bernard, président de ce Collège de médecins spécialisés en gynécologie et en obstétrique, il faut avant tout s’entendre sur le terme. “La lutte contre les violences faites aux femmes, c’est un enjeu sociétal capital dans lequel nous nous inscrivons totalement. Mais ce terme doit être réservé aux actes et aux attitudes qui sont finalement repris dans la définition des violences médicales. C’est-à-dire tout ce qui est de la maltraitance intentionnelle, qu’elle soit physique ou psychique. Cela inclut aussi tout ce qui touche à la délinquance des professionnels et donc les abus sexuels”, indique le médecin. “Cela n’est évidemment pas la norme, mais cela existe et il faut dénoncer et, le cas échéant, punir ce type de violence”, insiste-t-il.

Des faits traumatisants mais pas causés par des soignants

La majorité des vécus traumatiques des (jeunes) mères ne sont cependant pas dus aux comportements anormaux d’un soignant mais aux nombreux événements qui peuvent émailler le décours d’une grossesse, d’un accouchement et d’un post-partum, insiste le président du CRGOLF. Autrement dit : des faits liés à la grossesse et à l’accouchement peuvent, en eux-mêmes, être traumatisants sans qu’il s’agisse, pour autant, de violences causées par des soignants.

Les données officielles du centre d’épidémiologie périnatale (le CePip) montrent que seules 15 % des femmes en Wallonie et à Bruxelles accouchent sans aucun support médical. Si on y ajoute celles qui recourent uniquement à la péridurale (une technique d’anesthésie pour contrôler la douleur pendant l’accouchement), on atteint 40 %. “Ce qui veut dire que 60 % des patientes ont besoin d’une aide médicale à un moment donné, que ce soit une césarienne, un forceps, une suture d’épisiotomie, un traitement de l’hémorragie, etc. Si les futures mamans ne sont pas prévenues, elles peuvent tomber de haut quand ça arrive.”

”On met des attentes un peu irréalistes dans la tête des futures mamans”

On est donc loin de l’imagerie rose et pailletée des bébés qui naissent gentiment tout seuls en laissant faire la nature. “Mettre dans la tête des jeunes mères que dans la majorité des cas, cela se passe bien sans aucune intervention, c’est tout à fait faux. Le fait de marteler cette affirmation crée des attentes un peu irréalistes, relève le gynécologue-obstétricien. Quand cela se passe différemment, ça peut être vécu comme un échec ou un traumatisme.”

Au-delà de 12 semaines de grossesse, il s’agit d’un mini-accouchement

Ces dénonciations d’actes ressentis comme inadéquats, inappropriés ou violents ont entraîné une prise de conscience des soignants de l’importance capitale d’une information complète et préalable, relève le professeur Bernard. “Si j’annonce à une patiente en travail qu’il faut faire une césarienne parce que le bébé ne va pas bien, le vécu de cette future maman sera très différent si elle sait que c’est quelque chose qui arrive régulièrement ou si elle découvre, au moment même, que l’accouchement ne va pas se passer, comme elle l’attendait, par les voies naturelles.”

Informer les futurs parents, sans (trop) les stresser

Les futures mamans doivent savoir que, dans plus d’une naissance sur deux, l’accouchement à 100 % “physiologique” ne sera pas possible, poursuit le médecin. Mais comment informer les patientes en début de grossesse, sans (trop) les stresser ? Le Collège des gynécologues et obstétriciens francophones a élaboré, en mai 2023, un document informatif à l’attention des futurs parents. “On y explique les événements les plus fréquents qui peuvent se produire pendant une grossesse. Et, notamment, qu’en Belgique, la césarienne concerne 20 % des accouchements. Donc un sur cinq. C’est bien de le savoir.” Le document indique aussi, par exemple, que 10 % des bébés naissent avec l’aide d’une ventouse ou d’un forceps. Que l’épisiotomie n’est plus pratiquée systématiquement mais plutôt pour éviter une déchirure plus grande ou raccourcir une phase d’expulsion en cas d’altération du rythme cardiaque fœtal. Les hémorragies survenant après la naissance du bébé arrivent dans 10 % des cas. “Ces chiffres paraissent impressionnants mais ils permettent à la Belgique de se distinguer par un très faible taux de morbidité et de mortalité maternelle et néonatale, grâce à l’excellence des services obstétricaux dispensés dans nos maternités”, précise le document.

Les avortements tardifs restent des exceptions

”On doit demander aux patientes si elles sont d’accord d’être examinées”

”L’information doit être à la fois complète, systématique et non stressante, pour un consentement éclairé de la patiente, reprend le Pr Pierre Bernard. Cela permet de désamorcer les mauvais vécus liés à la grossesse et à l’accouchement.”

La demande de consentement vaut avant tout acte, y compris une simple consultation, même si cela paraît évident qu’une patiente qui se rend chez son gynécologue s’attend à être examinée. “Il faut systématiser le fait d’avoir cet accord, au moins verbal. On doit demander aux patientes si elles sont d’accord d’être examinées et leur expliquer pourquoi, par exemple, l’examen clinique permettra d’apporter une information importante pour le diagnostic et le traitement. C’est devenu un prérequis incontournable.”

La pénurie de soignants met la bientraitance à l’épreuve

La violence institutionnelle a aussi été évoquée au cours du symposium. “On a fort insisté sur la bienveillance et la bientraitance des soignants. A priori, c’est une évidence et c’est quelque chose qui devrait être naturel. Mais dans les faits, c’est parfois plus difficile.” Il manque des sages-femmes en salle d’accouchement et en maternité et celles qui restent sont souvent débordées, avec le risque de burn-out consécutif. Certaines maternités ont beaucoup de difficultés à disposer d’anesthésistes, de sages-femmes, de pédiatres ou de gynécologues disponibles 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Ces situations-là sont parmi les plaintes les plus fréquentes évoquées par les jeunes parents en matière de vécu traumatique de leur parcours périnatal.