Belgique

Quand la Région bruxelloise accorde des subsides pour recherche et innovation à un fritkot ou une compagnie de théâtre…

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”Innoviris est loin d’être l’OIP bruxelloise la plus critiquable. Mais en creusant, nous constatons que, même là-bas, s’applique la logique de l’arrosoir à subsides. C’est la technique classique à Bruxelles. Après cela, certains s’étonnent encore qu’il n’y ait plus d’argent public pour financer le métro Nord…”, lance David Leisterh, chef de groupe MR au Parlement bruxellois, qui a analysé le récent rapport de la Cour des comptes portant sur les subsides octroyés en 2022 par Innoviris.

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guillement

« L’objet social d’Innoviris est génial, il s’agit d’investir dans la recherche et l’innovation. Mais débloquer l’équivalent d’un appart deux chambres pour financer une pièce de théâtre, cela ne va pas. La recherche et l’innovation, ce n’est pas la culture, qui est déjà financée par la Fédération Wallonie-Bruxelles. »

L’objet initial d’Innoviris est génial. Mais débloquer l’équivalent d’un appart deux chambres pour financer une pièce de théâtre, cela ne va pas. La recherche et l’innovation, ce n’est pas la culture. Est-on est les seuls à penser qu’un OIP de recherche et d’innovation n’a pas pour objet d’investir dans un champ agricole, une friterie ou une pièce de théâtre ? Je n’en comprends pas l’intérêt, si ce n’est un intérêt politique”, reprend David Leisterh.

MR's David Leisterh pictured during a press conference of French-speaking liberal party MR at their headquarters in Brussels, after a weekly party bureau to communicate on the 2024 elections, Monday 09 October 2023. The mandate of party chairman Bouchez has been prolonged for a year. BELGA PHOTO HATIM KAGHAT
David Leisterh, chef de groupe MR au Parlement bruxellois.

La majorité des subsides listés par la Cour des comptes est, en toute logique, allouée à des sociétés privées clairement actives dans des projets innovants, à des universités ainsi qu’à quelques communes. Le MR a toutefois identifié une trentaine de subsides (pour un total de 1,8 million d’euros) dédiés à différents organismes dont la finalité innovante paraît, à leurs yeux du moins, peu évidente.

Pêle-mêle, les libéraux citent notamment les 275 640 euros octroyé aux « plaisirs chiffonnés”, une compagnie de théâtre qui “questionne la place de l’artiste au sein du secteur des arts vivants”, les 11 000 euros octroyés à By Dewez, une friterie du parvis de Saint-Gilles qui “réinvente le Fritkot”, les 61 984 euros pour la coopérative du chant des Cailles, à Watermael-Boitsfort, “qui promeut une agriculture respectueuse de la terre et des humains, viable, émancipatrice et créatrice de liens sociaux”, les 65 500 euros à “Les Meutes”, une ASBL ixelloise “travaillant à la réalisation d’œuvres visuelles plurielles”, les 49 690 euros à Cultureghem ASBL, un laboratoire d’initiatives d’entraide vers un avenir plus durable en ville, etc.

”L’ensemble des subsides pointés ne s’éloigne en rien des missions de base d’Innoviris”, assure cependant le porte-parole de Barbara Trachte (Écolo), secrétaire d’État bruxelloise à la Transition Économique.

En plus des 44 millions d’euros affectés à la recherche et développement, 4 millions sont dédiés à “la sensibilisation aux sciences et à l’innovation.”

”Sensibiliser les jeunes à l’innovation”

Sensibiliser les plus jeunes à l’innovation et aux sciences est une politique publique essentielle à l’heure où il y a une pénurie de talents dans ces carrières. Prenons le cas de la friterie subsidiée : elle l’a été car elle a amené des scientifiques de renom, comme Alain Hubert (explorateur polaire), dans des ateliers-rencontre, autour d’une frite, où la science était expliquée aux adolescents”, ajoute le cabinet de Barbara Trachte. “Par ailleurs, il est important de comprendre que la recherche ne se fait pas uniquement en laboratoire. Et que l’innovation sociale, c’est aussi de la recherche. On s’inscrit en cela dans le programme européen Horizon Europe, qui vise à répondre à toute une série de défis sociaux et sociétaux. Cela passe notamment par des programmes de co-création, qui rassemblent citoyens, acteurs de terrain et chercheurs d’université. C’est le cas par exemple de la compagnie de théâtre Les plaisirs chiffonnés”.

Le désaccord entre vert et bleu porte en vérité moins sur l’ampleur des moyens attribués à la recherche et développement qu’aux choix politiques posés. Car nombre de ces subsides, au grand dam du MR, sont dirigés vers des ASBL à la sensibilité plutôt écologiste.

guillement

« Quel que soit le subside, la décision est objectivée par des experts d’Innoviris et, le cas échéant, avec l’aide d’experts externes »

L’observation du système d’octroi permet de mieux le comprendre. Jusqu’à 100 000 euros, les fonctionnaires dirigeants d’Innoviris disposent de la compétence pour l’octroi d’un subside. Mais au-delà et jusqu’à un demi-million d’euros, elle est exercée directement par la secrétaire d’État Barbara Trachte, qui dispose ainsi d’un levier d’action assez considérable. Ce n’est que lorsqu’une aide – plus rarement – dépasse les 500 000 euros que son octroi est discuté en gouvernement bruxellois.

”Mais quel que soit le subside, la décision est objectivée par des experts d’Innoviris et, le cas échéant, externes”, souligne le cabinet Trachte.

Barbara Trachte (Ecolo), Secrétaire d'Etat bruxelloise à la transition économique.
Barbara Trachte (Ecolo), Secrétaire d’Etat bruxelloise à la transition économique. © Bernard Demoulin

”C’est très clairement politique”

”Aujourd’hui, on subsidie avec de l’argent public, via Innoviris, toute une série de choses qui n’ont a priori pas leur place dans la recherche et développement. C’est très clairement politique. Mais ce n’est pas nouveau et ce n’est pas la faute du management d’Innoviris, pointe Olivier Willocx, CEO de Beci, la Chambre de Commerce de Bruxelles. Peut-être faudrait-il redéfinir cela… Bruxelles a besoin d’une vraie stratégie d’innovation.”