Belgique

Les pratiques d’hébergement citoyen sont “des actes de résistance civile”

Ce sont ces trois moments qu’ont étudié Andrea Rea (professeur de sociologie à l’ULB et depuis lors candidat socialiste pour les prochaines élections), Antoine Roblain (chargé de cours en psychologie sociale des migrations à l’ULB) et Julia Hertault (diplômée en sociologie de l’ULB) dans un ouvrage qu’ils viennent de publier (1).

Leur premier constat est le “double standard” institué par l’État dans l’accueil des exilés. Alors que l’hébergement au sein des foyers fut considéré comme une pratique répréhensible entre 2016 et 2019, il fut encouragé par le gouvernement en 2022 en faveur des réfugiés ukrainiens. “Contrairement à l’auto-organisation des hébergements citoyens de la Plateforme citoyenne, la crise ukrainienne a conduit à la mise en place d’une organisation étatique de ce type d’accueil”, notent les auteurs. Le gouvernement a, en quelque sorte, “sous-traité” cet hébergement auprès des citoyens.

Un humanisme subversif

Si l’on se penche sur la Plateforme citoyenne en particulier, l’ouvrage analyse le profil et les motivations des hébergeurs. “Des hébergeuses”, devrait-on écrire, puisqu’il s’agit essentiellement de femmes, et que la plupart sont âgées de plus de 40 ans. Cet âge relativement élevé “découle en grande partie de la disponibilité biographique accrue de ces individus”, dont de nombreux “vivent séparés ou à la retraite”. De même, ces bénévoles “affichent un niveau de capital culturel élevé et affirment bénéficier de ressources financières suffisantes”, ainsi que de la propriété de leur logement : ce qui leur permet d’accueillir plus facilement.

Au-delà de ces chiffres, les auteurs soulignent que la Plateforme, “apolitique” officiellement, “est devenue par son travail, son discours et ses symboles un espace de dialogue, d’échange d’expériences et de points de vue”, “un espace de prise de conscience collective”. Dans certaines circonstances – notamment lors du débat autour des visites domiciliaires -, la Plateforme a dès lors agi comme une organisation politique.

En ce sens, les pratiques d’hébergements citoyen “représentent des actes de résistance civile”, une forme “d’humanitarisme subversif : un acte moral qui acquiert une forme politique en raison de son opposition aux discours et aux pratiques du gouvernement fédéral”.

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L’engagement “post-it”

Alors que le modèle classique du militantisme au sein des partis ou des syndicats existe de moins en moins, l’ouvrage éclaire une nouvelle forme d’engagement – surnommé “post-it” – dont témoigne l’hébergement citoyen auprès de la Plateforme. “Cet engagement post-it possède deux caractéristiques : il est à la fois court, passager et nomade, et il est affranchi de toute affiliation à un groupe d’appartenance. Cet engagement s’opère dans un groupement, constitué de ‘je’ autonomes, pas forcément inscrits dans des cercles aisément identifiables, mais réunis par les finalités même du groupement. L’engagement post it correspond à un engagement intense lié à un projet précis. Cependant, il est révisable à tout moment parce que les personnes ne se sentent pas dépendantes de la structure qui les porte et qu’elles cherchent un engagement qui leur corresponde.”

L’accueil des demandeurs d’asile doit rester “la responsabilité des pouvoirs publics”, concluent les auteurs. L’histoire récente des hébergements citoyens n’en est pas moins “un exemple inspirant de la façon dont la société civile peut intervenir lorsque les institutions faillissent. C’est une histoire d’humanité, de solidarité et de réflexion sur notre responsabilité collective […].”

  1. “Héberger des Exilé.es. Initiatives citoyennes et hospitalité”, Andrea Rea, Antoine Roblain, Julia Hertault, Éditions de l’Université de Bruxelles.