Belgique

Les directions des écoles fondamentales appellent à l’aide: « Deux dossiers sensibles d’inégalités de traitement sont encore sur la table »

À quelques jours de la dernière rentrée des classes avant les élections de 2024, le Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique) organise, ce vendredi, son Université d’été annuelle. Au centre de son programme de débats et d’ateliers, ouverts à tous les acteurs de l’école, la notion de l’humain au cœur du changement.

Il faut dire que, dans le cadre du Pacte d’excellence, de nombreuses réformes se concrétisent suivant un calendrier serré. Les femmes et les hommes de l’école doivent s’adapter.

Pour Etienne Michel, qui entame sa dernière année scolaire à la tête du Segec, la soutenabilité des politiques sera la thématique centrale des mois à venir et de la prochaine législature, “et ce sous trois angles : la soutenabilité de la mise en œuvre et de la programmation des réformes, la disponibilité du personnel enseignant et la soutenabilité du contexte institutionnel et financier”.

À l’école, l’excellence ne se décrète pas

Pour accompagner les changements, il faut pouvoir tenir compte de l’engagement des directions. Comment les soutenir davantage ?

Nous avons demandé au bureau d’analyse Sonecom de réaliser une étude relative aux conditions d’exercice de la fonction de direction pendant toute une année, de l’enseignement maternel au supérieur. L’échantillon observé compte 674 directions et est représentatif de la population de référence (qui en compte 1 369). Interrogés sur ce qui les a motivés à prendre leur fonction, directrices et directeurs évoquent principalement l’envie de mener des projets qui ont du sens (89 %), l’occasion d’exercer une nouvelle fonction (84 %), de relever un nouveau défi professionnel (83 %) et l’encouragement exprimé par des collègues (62 %). On peut en déduire un certain attachement à leur école. À noter que ce travail a aussi permis de confirmer que la fonction reste essentiellement féminine (à 63 % en moyenne) et que la moyenne d’âge approche ou dépasse les 50 ans.

En quelques années, l’aide apportée aux directions a été augmentée. Est-elle suffisante aujourd’hui ?

Vous avez raison : depuis 2006, ces aides ont connu une hausse significative. Elles ont même été triplées dans le cadre du Pacte d’excellence. Enfin, dans le dernier accord sectoriel, le gouvernement a accepté de les augmenter de 25 %. Seulement, il ressort de l’enquête que l’aide structurelle apportée aux directions reste globalement insuffisante dans le fondamental. L’écart historique n’est toujours pas comblé avec les autres niveaux d’enseignement.

Concrètement, que leur manque-t-il ?

Environ un tiers seulement des directions du fondamental (36 %) estiment que l’aide qu’elles reçoivent en matière de secrétariat (36 %) et de comptabilité ou gestion financière (34 %) suffit. C’est pire encore pour la gestion des bâtiments (17 %), la gestion du personnel (16 %), l’informatique (15 %) et la gestion administrative des élèves (14 %). Un vrai problème subsiste donc.

Qu’en est-il dans le secondaire ?

La satisfaction est meilleure que dans le fondamental : entre 50 et 80 % pour les quatre premières aides examinées sauf concernant la gestion des bâtiments (30 %) et l’informatique (21 % estiment l’aide suffisante à ce propos). Nous avons fait une proposition pour améliorer cette dernière difficulté. Parmi les solutions possibles figure l’assouplissement des normes concernant l’utilisation des moyens d’encadrement. On peut constater que, dans le supérieur qui est passé dans un régime d’allocation globale (sans distinction entre les moyens d’encadrement et les moyens de fonctionnement) au milieu des années nonante, l’aide obtenue est très majoritairement jugée suffisante à tous les points de vue, bâtiments et informatiques compris. Pourtant, les moyens par étudiant sont plutôt inférieurs à ce qui se pratique dans l’enseignement obligatoire…

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Que pensent les directions de leur formation, initiale ou en cours de carrière ?

Les principales compétences acquises sont administratives (93 %), relationnelles (85 %) et pédagogiques (85 %). Ces trois domaines figurent dans la formation initiale. En outre, moins d’une direction sur deux s’est formée en management (46 %), communication (38 %) ou gestion des ressources humaines (36 %). Or, les grands défis du Pacte sont liés à ces savoir-faire. Des formations en accompagnement des équipes, en ressources humaines et en accompagnement du changement figurent dès lors parmi leurs principales attentes.

À quelques mois des élections, quels sont selon vous les dossiers les plus chauds ?

En maternelle et en primaire, la question du soutien aux directions reste cruciale, comme on vient de le voir. Dans le secondaire, l’après-tronc commun constitue la grande question. Que se passera-t-il après la troisième année secondaire lorsque le tronc d’études commun à tous les élèves sera en place jusqu’à cette année-là ? Qu’en sera-t-il des choix d’orientation pour les trois dernières années du secondaire ? Les acteurs du secteur insistent pour qu’on ait une vision claire de ce qui se passera, avant la fin de cette législature. Un groupe de travail a été mis en place. On espère ses premières conclusions avant la fin de l’année scolaire.

Je retiens également deux chantiers particulièrement sensibles : la réforme de l’ensemble des fonds de financement des bâtiments scolaires et la réforme du financement des écoles supérieures des arts.

Les deux dossiers concernent des inégalités de traitement au détriment de votre réseau.

En effet. Ces inégalités de traitement sont considérées comme contraires à la Constitution dans des arrêts très importants rendus par la Cour constitutionnelle. Historiquement, la part des fonds de financement des bâtiments scolaires alloués à l’enseignement libre était d’environ 25 % de l’ensemble des budgets disponibles (33 millions d’euros sur 133 millions), alors que l’enseignement libre scolarise environ 50 % des élèves et des étudiants. La réforme envisagée vise à réformer l’ensemble des fonds préexistants afin de généraliser un taux d’intervention publique à 65 % pour tous les chantiers et quel que soit le réseau, libre ou officiel.

Dans les écoles supérieures des arts, le déséquilibre est également important. Un étudiant d’une école supérieure des arts du réseau libre n’est financé qu’à concurrence de 20 à 30 % d’un étudiant de l’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles (WBE). Pour la Fédération, l’enjeu est limité en matière de montants, mais pour les écoles concernées il est crucial. Cette différence de traitement est parfois compensée par des contributions financières à charge des étudiants. De plus , elle a disparu depuis longtemps dans tout le reste de l’enseignement supérieur, tant en hautes écoles que dans les universités.

Que pensez-vous du travail réalisé par l’actuel gouvernement : a-t-il rempli sa mission ?

Il l’a remplie, oui. Il existe une vraie vision, dans ce gouvernement, pour assurer la continuité du Pacte d’excellence et de dépasser les vieux clivages historiques. Une seule réforme prévue n’a pas été entamée : celle qui concerne les centres PMS.

Et quels seront les défis principaux de la législature prochaine ?

La soutenabilité des réformes et leur mise en œuvre avec, en filigrane, la lutte contre la pénurie d’enseignants. Nous allons faire des propositions à ce sujet. Je ne peux pas en dire davantage à ce stade, juste constater que cette pénurie ne frappe pas tous les postes, partout et tout le temps. Plus aiguë à certains moments de l’année qu’à d’autres, elle n’est pas permanente. J’ajouterai aussi qu’elle est moins dramatique côté francophone qu’en Flandre. Enfin, le lien entre enseignement et emploi sera probablement un autre grand thème du prochain gouvernement.

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Etienne Michel cherche son successeur

Après 20 ans à la tête du Segec, Etienne Michel tirera sa révérence à la fin de l’année scolaire. Une procédure de sélection va être mise en place. “L’idée est de passer le témoin en septembre 2024, à la suite de quoi j’assurerai sans doute un coaching pendant une année”, explique l’intéressé qui n’entend pas s’étendre sur la question outre mesure. Le secrétaire général du Segec préfère insister sur l’évolution de l’organisation et de la gouvernance entamée pour s’adapter aux nouveaux défis. Objectifs ? “Assurer une meilleure intégration des entités historiques créées par niveau d’enseignement avec, entre autres, un nouveau comité de direction organisé sur le principe de la collégialité, et progresser simultanément sous l’angle de la légitimité et de l’efficacité.” A noter que le Segec fêtera ses trente ans au printemps 2024. En 1990, il succédait au Secrétariat national de l’enseignement catholique créé en 1957 par les Évêques de Belgique.