Belgique

Le ministre Gilkinet emploie au sein de son cabinet un conseiller payé par Skeyes: « Il y a clairement un conflit d’intérêts… »

”Il n’est pas question de conflit d’intérêts”, a-t-elle assuré. Egbert Lachaert, président de l’Open VLD a malgré tout demandé une commission spéciale concernant le cas Petra De Sutter. “Cette double casquette, ça ne va pas”, a-t-il précisé sur RTL-TVI.

Il existe, au sein d’un autre ministère fédéral au moins, d’autres cas similaires de collaborateurs détachés avec un salaire qui reste payé par l’entreprise publique.

M.D., expert en contrôle aérien est en effet actif au sein du cabinet de Georges Gilkinet (Ecolo), vice-Premier en charge de la Mobilité. Il y travaille en tant que responsable de la Cellule Air.

Cet ancien directeur général des opérations chez Belgocontrol (devenu depuis Skeyes) a été détaché en 2014 au sein du cabinet de François Bellot (MR), ancien ministre de la Mobilité, puis en 2020 au sein du cabinet de son successeur, Georges Gilkinet. Il y suit les dossiers aviation dont celui, hautement politique et sensible, du survol de Bruxelles.

M.D. déclare une rémunération de 200 000 euros par an comme membre du cabinet Gilkinet, ainsi qu’un mandat d’expert chez Skeyes, mais non rémunéré.

Le détachement, pratique courante

Dans les faits, il reste pourtant bel et bien rémunéré par Skeyes et bénéficie, selon nos informations, encore de sa voiture de fonction ainsi que d’une prime annuelle versée par la société chargée du contrôle du trafic aérien. Il perçoit en outre, en tant que détaché, une prime de cabinet.

Le détachement constitue une pratique courante, d’ailleurs encadrée par un arrêté royal de 2001, quand il s’agit de mettre en place des cabinets ministériels. Elle permet au cabinet de faire supporter l’essentiel du coût de son collaborateur à l’administration.

La nature de l’entité qui détache cet expert pose toutefois question puisqu’il ne s’agit ici pas d’une administration, mais d’une entreprise publique autonome, laquelle, même si elle n’est pas cotée en Bourse, a également une finalité économique. Elle affiche un chiffre d’affaires de 270 millions d’euros en 2021 et un bénéfice annuel de 19 millions. Skeyes est également dotée d’un contrat de gestion, contrairement aux administrations.

On peut par ailleurs considérer que l’intérêt de cette entreprise, sur un dossier tel que le survol de Bruxelles notamment, peut différer de celle d’un ministre écologiste.

C’est exactement le même cas de figure que chez Petra De Sutter. Il n’est pas logique qu’une personne de chez Skeyes soit active au sein du cabinet du ministre de la Mobilité. Il y a clairement un conflit d’intérêts : c’est comme être à la fois contrôleur et contrôlé”, analyse une source bien informée.

guillement

Je pose une question : comment un cabinet peut-il prendre de bonnes décisions et bénéficier d’une bonne expertise, s’il ne va pas chercher les experts là où ils sont »

”Je pose une question : comment un cabinet peut-il prendre de bonnes décisions et bénéficier d’une bonne expertise, s’il ne va pas chercher les experts là où ils sont ?”, nous indique pour sa part M.D., l’expert détaché au sein du cabinet Gilkinet, qui ne conteste pas que son salaire soit toujours payé par Skeyes. Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il y a un conflit d’intérêts, même si je reconnais que la frontière peut sembler ténue. C’est une question d’honnêteté. Une déclaration sur l’honneur est faite quand on s’engage dans le cabinet. Je ne dépends que d’une seule chapelle : celle du ministre. Ce système existe depuis toujours, dans tous les cabinets ministériels.”

Le cabinet de Georges Gilkinet peut en effet également compter sur le renfort de deux agents de la SNCB, et un d’Infrabel. Ces collaborateurs restent payés par ces entreprises autonomes, qui ne sont pas “remboursées” par le ministère.

Le porte-parole du ministre rappelle toutefois que tous les conseillers de son cabinet s’inscrivent “dans le cadre déontologique” défini par le ministre, et que “la responsabilité politique relève in fine du seul ministre”.

Le choix d’engager M.D. repose, selon lui, sur un élément évident. “La gestion du dossier aérien nécessite une expertise solide, qui ne se trouve pas facilement, et qui est de toute évidence apportée par M.D.”, conclut le porte-parole de Georges Gilkinet.

”Je travaille en toute impartialité”

Selon M.D., même si le cabinet Gilkinet décidait de prendre en charge l’intégralité de sa rémunération, la donne ne serait pas différente. “Je suis un expert, je donne mon expertise en toute impartialité et je ne fais pas de politique”, ajoute-t-il.

Des questions se posent toutefois. Le nom de cet expert (M.D.) détaché par Skeyes apparaît dans le PV de trois réunions destinées à modifier l’actuel contrat de gestion de Skeyes avec l’État.

M. D. a ainsi participé à la réunion intercabinet du 30 novembre 2022 qui a avalisé les avenants aux contrats de gestion modifiant les redevances payées par les compagnies aériennes, et donc le mode de financement de Skeyes.

Le 25 novembre 2022, M.D s’était trouvé comme seul représentant du ministre de la Mobilité lors de la réunion entre les compagnies aériennes et Skeyes, toujours sur la modification du contrat de gestion, ainsi que le 22 novembre, lors des discussions avec le ministre wallon des Aéroports.

Comment rester impartial quand on représente le ministre qu’on conseille lors d’une négociation qui implique l’entreprise qui vous paye ?

Le porte-parole de Georges Gilkinet ne conteste pas les faits, mais dément tout conflit d’intérêts. M.D conseille en effet le ministre sur des dossiers comme “la redevance variable à payer par les compagnies aériennes en fonction de leur impact environnemental”, mais aussi la modernisation du système de radars, ou encore la nouvelle législation sur les drones.

Le porte-parole de Georges Gilkinet précise toutefois qu‘” un autre collaborateur a été désigné par le ministre pour coordonner la négociation avec Skeyes de son futur contrat de gestion.”

Les deux poids deux mesures édictées par Georges Gilkinet interrogent : il y aurait donc potentiellement un potentiel conflit d’intérêts en cas de participation d’un expert de Skeyes aux négociations pour le futur contrat de gestion. Mais pas pour modifier la méthode de financement de l’actuel contrat…