Belgique

« Le cercle vicieux météorologique qui se met en place en ce moment est vraiment inquiétant »

Le début de printemps semble particulièrement froid et pluvieux. Le confirmez-vous ?

La moyenne de températures depuis le 1er mars – qui correspond à la date du début du printemps en météorologie – est de 8 degrés. Puisque la normale devrait être de 8,5, on est légèrement déficitaire. Mais c’est avril qui marque le pas avec quasiment deux degrés en dessous de la moyenne. On constate aussi qu’on a eu pas mal de pluie, surtout en mars, où on a connu deux fois plus de précipitations que la normale. Mais, février ayant été très sec, ces pluies ont été relativement positives. Elles permettent, en cas de grosse sécheresse ou de canicule en été, de limiter les dégâts. Ce côté structurel de déficit de précipitations ces dernières années est problématique. Sur le long terme, cela a des effets sur les nappes phréatiques.

A quoi s’attendre dans les jours qui viennent ?

Ce week-end devrait être potable et, dès le milieu de semaine prochaine, on pourrait frôler les 20 degrés. Mais il existe aussi un risque d’avoir des dégradations pluvio-orageuses. Les modèles saisonniers laissent entrevoir un mois de mai légèrement plus chaud et un peu plus orageux que la moyenne.

Peut-on déjà se projeter en été ?

La combinaison des différents modèles saisonniers montre la possibilité d’avoir une anomalie d’un degré supplémentaire, en températures moyennes, dans nos régions. Cela peut paraître assez peu mais, en réalité, c’est considérable. Cela nous placerait dans un été relativement chaud. Au niveau des précipitations, il n’y a pas de signal, ce qui permet de conclure qu’on aura peut-être une situation proche de la normale et donc plutôt des orages qui rafraîchiront l’atmosphère. Ce serait différent de 2022, où juillet et août ont été historiquement secs.

Si on connaît un été très chaud et quasiment sans pluies, quels dommages cela peut-il causer ?

Même si des scénarios extrêmes sont toujours possibles, en Belgique, la situation ne devrait pas être trop problématique grâce aux pluies de cet hiver et de ce printemps. En France et en Espagne, ils ont connu une très mauvaise recharge hivernale par endroits. La sécheresse risque de causer de vrais soucis. En Espagne, ils rencontrent déjà des problèmes de rendement agricole. Ils pourraient aussi avoir des incendies de forêt.

Comment expliquer la situation météorologique de l’Espagne, qui enregistre en ce moment en Andalousie des températures proches des 40 degrés ?

Ce n’est pas exceptionnel d’avoir des tels phénomènes, même en avril. Le problème, dans ce cas-ci, c’est que les valeurs déjà observées dans le passé vont probablement être battues. Il y a des remontées d’air très chaud qui viennent d’Afrique du nord, un ensoleillement très généreux avec un rayonnement solaire qui réchauffe l’atmosphère, un ciel peu nuageux… le tout sur un sol déjà extrêmement sec. Il n’y a donc pas d’évapotranspiration qui permet de tempérer la chaleur. C’est un cercle vicieux qui se met en place et qui est vraiment inquiétant. On constate ces dernières années de plus en plus de situations de blocage anticyclonique qui se fige et s’auto-alimente. En été, cela peut aboutir à des vagues de chaleur durables et à répétition. On a connu ce phénomène en Belgique en 2022.

Pascal Mormal IRM meteo meteorologue
Pascal Mormal ©Jean Luc Flemal

Dans certains départements du sud de la France, le remplissage des piscines est déjà interdit. Est-ce excessif ou justifié ?

Quand les réserves en eau sont très basses dès le mois d’avril, ces mesures de restriction sont du bon sens. C’est le moment idéal pour limiter les dégâts si, par malheur, on devait avoir un été très chaud. Autre source d’inquiétude : durant l’hiver, on a connu très peu de chutes de neige et d’enneigement en basse et moyenne montagne. Normalement cette neige commence à fondre progressivement au printemps et contribue à alimenter les rivières, les lacs… Il y a moins de réserves que les autres années.

Les Belges qui partiront en vacances en France ou en Espagne cet été doivent-ils s’attendre à des vacances chamboulées par de telles mesures de restriction d’eau ?

A priori, oui, le problème se posera dans une grande partie du bassin méditerranéen. On n’est pas dans une situation de guerre, mais il est clair que les vacances pourraient être perturbées par des rationnements en eau et des feux de forêt. Il faut aussi relativiser : la plupart des régions côtières ont des températures un peu plus supportables.

Est-ce un effet du réchauffement climatique ?

Oui, les gens peuvent dire qu’en 1947, 1976 ou 2003, on a aussi connu des canicules en Belgique. Mais les événements se produisent actuellement avec une plus grande fréquence, une plus grande intensité et une plus grande durée. Le phénomène s’est donc emballé. Et ça, c’est clairement lié au réchauffement climatique. Même les projections du Giec sont un peu dépassées par les faits. En Belgique, les dix années les plus chaudes depuis 1833 se sont toutes produites après l’an 2000. On franchit des seuils jamais atteints. On a connu 40 degrés en juillet 2019 et 2022, ce qui paraissait quasi impossible autrefois. Il est aussi impressionnant de constater que les vagues de chaleur se sont multipliées (21 en 30 ans) alors que les vagues de froid deviennent extrêmement rares (2 en 30 ans).

SI ces chaleurs se perpétuent en Belgique, devra-t-on aussi prendre des mesures drastiques ?

Oui ! On a déjà vu ces derniers étés des mesures prises localement, là où les réserves manquent dans les nappes phréatiques. Dans le futur, si le changement climatique se poursuit et qu’on maintient de tels besoins en eau, il est évident qu’on va avoir des problèmes de rationnement. Alors qu’il pleut beaucoup chez nous, la Belgique est plus exposée que l’Afghanistan à la sécheresse, qui est composée notamment de déserts. Pourquoi ? Car la Belgique a une densité de population très importante et une industrie très développée et donc une grosse consommation d’eau.

Les incendies de forêt risquent-ils de se multiplier chez nous aussi ?

On n’échappera pas non plus aux incendies de forêt. Cela peut être simplement des incendies de broussailles, comme à la Baraque Michel en 2011. Mais on a aussi connu des forêts de pins en feu en 1976. Si le climat continue de se réchauffer, on connaîtra des incendies comme dans le sud de la France. Il va falloir réfléchir à disposer d’essences d’arbres résilientes au réchauffement climatique. La forêt de Soignes, par exemple, est peuplée de hêtres, qui sont vulnérables aux fortes chaleurs.