Belgique

Le bilinguisme dans nos écoles est-il impossible? “Notre système scolaire sanctionne l’erreur alors qu’on apprend une langue en osant parler »

Le manque de précocité constitue la première raison mentionnée dans la littérature scientifique pour expliquer un potentiel échec de l’apprentissage des langues à l’école. Qu’en est-il chez nous ? “Dans l’enseignement obligatoire, estime la chercheuse, et même si on notera une nouvelle avancée en la matière à la prochaine rentrée (voir les précisions ci-dessous), seule l’immersion linguistique qui commence en maternelle remplit cette condition. Encore faudrait-il qu’elle soit systématiquement poursuivie en secondaire…”

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Deuxième cause : le manque d’intensité. “En Wallonie, les élèves de l’enseignement primaire sont exposés à 1h40 d’enseignement d’une langue étrangère par semaine (2 périodes de 50 minutes), constate-t-elle. En secondaire, à 3h20.” Beaucoup trop peu, selon elle, en comparaison du temps nécessaire à la maîtrise d’une langue, même en ce qui concerne la langue maternelle à l’apprentissage de laquelle un enfant passe la majorité de ses cinq premières années.

Huit minutes par semaine pour parler

La spécialiste en logopédie a sorti sa calculette. Pour la facilité de l’opération, elle considère qu’une période de cours vaut une heure. Jusqu’à cette année, en primaire, un élève wallon (hors communes à statut spécial) a consacré deux heures par semaine à l’apprentissage d’une langue étrangère, pendant deux années scolaires de 26 semaines de cours. Total : 104 heures (environ 4 jours). Quand il sera confronté à son premier cours de langue à partir de la troisième année, ce sera le double (208 heures, environ 9 jours). En secondaire, celui qui suivra quatre heures de langue par semaine totalisera 522 heures en six ans (environ 22 jours). “Voilà pour la théorie, ajoute Annick Comblain, en supposant que ni l’élève ni l’enseignant ne sont jamais absents, et qu’aucun cours n’est jamais supprimé.” Ce qui est évidemment plus favorable que la réalité.

“Considérons maintenant qu’une classe compte 25 élèves en moyenne, poursuit-elle. On voit que le temps passé par chacun à parler est réduit à peau de chagrin : 8 minutes par semaine, trois heures par an au mieux.” Et sa conclusion est sans appel : “Le meilleur enseignant du monde, avec la meilleure volonté du monde, ne peut arriver à faire acquérir une langue étrangère à un élève dans ces conditions !”

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”Notre système sanctionne l’erreur”

Les derniers biais analysés concernent justement la manière d’enseigner. “L’objectif ne doit pas être de connaître des règles sans pouvoir les appliquer ou de connaître des mots sans pouvoir les combiner adéquatement en phrases, mais bien de communiquer”, explique encore Annick Comblain. Découle de ce constat “un autre défaut majeur : l’aspect trop traductif de l’enseignement des langues”. Et de relever “une forte tendance à utiliser la langue maternelle comme médium d’enseignement de la langue seconde”. Autrement dit, l’apprenant construit d’abord sa production écrite ou orale dans sa langue maternelle et la traduit ensuite. “Or, juge l’auteure, commencer l’apprentissage d’une langue par la traduction revient à commencer à escalader une montagne par le sommet”, tant la discipline requiert d’expertise.

Enfin, elle épingle un dernier regret. “Notre système scolaire sanctionne l’erreur alors qu’on apprend une langue en osant parler, en se trompant.” C’est pourquoi elle conclut qu’on n’atteindra jamais le bilinguisme dans l’enseignement traditionnel d’aujourd’hui “qui prive ainsi d’opportunités de mobilité et d’emploi une grande partie des élèves, ceux qui n’ont pas la possibilité de partir à l’étranger ou d’étudier dans une école internationale ou européenne”.

À Bruxelles, l’apprentissage de la première langue moderne commence en 3e primaire et c’est obligatoirement le néerlandais. C’est le cas également dans les communes wallonnes de la frontière linguistique (Comines-Warneton, Mouscron, Flobecq et Enghien). Ailleurs en Wallonie, ce cours apparaît actuellement en 5e primaire (il débutera en 3e et 4e l’année prochaine), et il porte sur le néerlandais, l’anglais ou l’allemand, au choix des élèves et des écoles. Il y a cinq exceptions : dans les communes de Malmedy, Waimes, Baelen, Plombières et Welkenraedt, la première langue moderne doit être l’allemand ou le néerlandais. Enfin, en Flandre, tous les élèves apprennent d’abord le français, à partir de la 5e primaire (dès la 3e, en option, et même en 1e primaire à Bruxelles).