Belgique

Lassé d’écrire les mêmes articles sur les mêmes affaires non résolues, cet ancien journaliste a lancé le premier “bureau des Cold cases” de Belgique

Les circonstances de ce drame restent un mystère et l’enquête n’a jamais véritablement avancé en près de 20 ans. Les proches du gendarme avaient pourtant bon espoir lorsqu’en mai 2009, la chambre des mises en accusation de Gand a retiré l’enquête au parquet de Termonde pour désigner un autre juge d’instruction. Mais aucun élément neuf n’a été trouvé pour permettre aux investigations de se poursuivre.

Une nouvelle information judiciaire pourrait toutefois être ouverte si de nouveaux éléments devaient apparaître. Sinon, l’un des plus énigmatiques Cold cases (affaires non résolues) de l’histoire judiciaire du pays restera sans réponses.

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”Il suffit de creuser, mais ça n’intéresse pas les autorités”

Il n’existe pas de statistiques permettant de quantifier le nombre officiel de Cold cases en Belgique. Mais, selon des experts du monde policier et judiciaire, près de 1000 dossiers de ce genre (et concernant principalement des homicides et des disparitions) prennent la poussière dans les tiroirs.

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« Certes, c’est un travail ingrat, qui demande du temps et un peu de moyens, mais nous ne pouvons abandonner les victimes dans de telles situations. C’est une forme de déni de justice. »

Une frustration pour ce policier (il souhaite rester anonyme) qui a longtemps travaillé, pendant son temps libre, sur certaines de ces affaires. Il regrette que la Belgique ne prenne pas le sujet au sérieux comme l’a fait la France en mars 2022, en créant un pôle national basé à Nanterre et dédié aux crimes non élucidés. “C’est honteux de constater un tel délaissement, déplore le policier. Une affaire non résolue, c’est une famille qui ne sait pas faire son deuil. Certes, c’est un travail ingrat, qui demande du temps et un peu de moyens, mais nous ne pouvons abandonner les victimes dans de telles situations. C’est une forme de déni de justice. D’autant que dans une majeure partie de ces cas, il y a des éléments dans les dossiers qui peuvent permettre la recherche de la vérité. Il suffit de creuser. Mais ça n’intéresse pas les autorités”.

Cela intéresse en tout cas Kurt Wertelaers, ancien chroniqueur judiciaire pour Het Laatste Nieuws et fondateur du premier “bureau des Cold Cases” en Belgique. Plus précisément à Aarschot, dans le Brabant flamand.

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Juges et flics retraités, étudiants en criminologie

S’il a débuté ses nouvelles activités durant l’été 2023, l’idée d’un tel bureau est née, elle, il y a près de six ans. “Tout a commencé lorsque je me suis rendu à Anvers pour rencontrer la maman d’une personne tuée il y a 20 ans en vue d’un article, se remémore Kurt Wertelaers. C’était la deuxième fois que je voyais cette dame. J’y étais déjà allé pour une première interview quelques années auparavant. En écoutant son récit, je me suis rendu compte que j’étais en train de réécrire le même article que celui que j’avais déjà rédigé. Je trouvais ça fou qu’après autant d’années, il n’y avait en fait rien de neuf. Je me suis dit qu’au lieu de réécrire la même chose, j’allais investiguer moi-même. Après tout, chercher de l’info, c’est aussi le travail des journalistes”.

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J’ai constitué une petite équipe de passionnés. Ce sont principalement des magistrats et des policiers retraités et des étudiants en criminologie. Les investigations prennent du temps, mais ce n’est pas le problème. C’est véritablement par passion. On ne fait pas du 9-16h, on bosse quand on peut comme on peut. Ce n’est pas une structure qui a vocation à faire de l’argent. »

Pendant près d’une année, Kurt Wertelaers s’intéressera donc de près à ce meurtre. Le fruit de ses recherches sera transmis au parquet d’Anvers… qui estime qu’il y a assez d’éléments pour rouvrir le dossier. “C’était une première en Belgique. Au-delà du côté inédit, j’ai ressenti un réel soulagement pour les proches de la personne tuée. Et moi, j’avais la sensation d’avoir fait quelque chose d’utile pour eux, et d’avoir aidé la justice à ma façon, poursuit Kurt Wertelaers. Sauf que quand la presse locale a raconté mon histoire, je me suis retrouvé avec une centaine de courriers de personnes me demandant de faire la même chose pour leurs proches tués ou disparus et pour qui aucune enquête n’avait abouti. C’est là que j’ai compris qu’il y avait quelque chose à lancer de façon plus concrète”.

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Et c’est ainsi qu’est donc née l’idée d’un “bureau des Cold cases”. “Au début, il n’y avait rien qu’une adresse à laquelle les gens pouvaient nous envoyer leurs requêtes. Mais aujourd’hui, j’ai constitué une petite équipe de passionnés. Ce sont principalement des magistrats et policiers retraités, ainsi que des étudiants en criminologie. Les investigations prennent du temps, mais ce n’est pas le problème. On ne fait pas du 9-16 heures, on bosse quand on peut, comme on peut. Ce n’est pas une structure qui a vocation à faire de l’argent, c’est véritablement par passion. C’est une association sans but lucratif, tout le monde s’implique de façon bénévole.”

Mais comment travaille-t-on dans ce bureau spécial ? “Pour la plupart des policiers ou des magistrats, c’est souvent l’existence d’une trace ADN qui va permettre de relancer une affaire. Pour nous, ça n’est pas le paramètre le plus important. Nous avons deux critères importants pour décider si, oui ou non, on peut prendre un dossier en charge, explique Kurt Wertelaers. D’abord, il faut que la demande vienne de la famille proche d’une victime. Ensuite, il faut que nous soyons face à un vrai Cold case, c’est-à-dire sans recherches en cours de la part de la police ou de la justice. Nous ne prenons jamais de dossier qui est parallèlement traité par les autorités”.

Et de poursuivre : “Les Cold Cases, c’est palpitant, c’est quelque chose qui intéresse tout le monde, lance l’ex-journaliste. Tout le monde, sauf les autorités, c’est un fait. Ce policier qui vous a partagé sa frustration en la matière a raison”.

Un intérêt plus vif en Flandre qu’en Wallonie

Car Kurt Wertelaers constate, lui aussi, que l’intérêt des autorités pour les affaires non résolues est plutôt limité. “Je ne vais pas jeter la pierre sur la justice ou la police. Je pense simplement que c’est plus par manque de moyens et moins par manque d’intérêt que nous n’avons pas, en Belgique, la même chose qu’en France. Les Cold cases, ce sont des investigations longues et coûteuses qui ne vont contenter que les personnes directement concernées. Ce ne sont pas des affaires d’État où des problèmes de société contre lesquels il faut lutter comme, par exemple, la violence liée aux trafics de stupéfiants qui sont, eux, la priorité”.

Et de poursuivre : “Des initiatives comme la mienne peuvent combler les manques en la matière en Belgique. J’ai l’impression, en tout cas en Flandre, qu’il y a un intérêt pour ce que nous faisons avec mon équipe. Nous avons déjà travaillé avec les Pays-Bas qui ont des “team Cold cases” dans tous les districts policiers. Je pense que cela à un impact sur l’intérêt que je ressens en Flandre, analyse Kurt Wertelaers. En tout cas, côté francophone, en Belgique, c’est beaucoup plus timide. Même quand on a une affaire qui pourrait être relancée, ça prend énormément de temps avec les francophones”.

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Si Kurt Wertelaers dit cela, c’est parce qu’il s’est penché, récemment, sur une affaire vieille de 54 ans et qui l’a menée en Wallonie. C’est l’histoire d’une femme retrouvée morte dans son appartement dans les années 70. La police n’a jamais pu identifier l’auteur. Les proches se sont adressés au parquet de Tongres où ils ont appris que le dossier avait disparu. Mais, il y a peu, les petits-enfants de la victime sont allés voir Kurt Wertelaers qui a creusé à Tongres mais également à Liège.

”Nous avons découvert des éléments que nous avons transmis au parquet de Liège il y a six mois, explique l’ex-journaliste. Il y a quelques jours, la famille a reçu une réponse positive de la part du parquet. C’est une satisfaction pour nous de voir que nous pouvons venir en aide à certaines personnes. Ici, après un demi-siècle, elles auront l’opportunité de mieux comprendre ce que dit l’instruction sur le décès de leur grand-mère. Cela leur permettra de faire enfin leur deuil. D’avoir des réponses, c’est aussi ça notre boulot”.

Et de conclure : “Je ne vais pas blâmer le travail de la justice et de la police. Ils font un travail titanesque avec trop peu de moyens. Mais j’espère qu’un jour, les autorités comprendront que ce ne sont pas des histoires à laisser dans les placards. Mais des bouts de vie inachevée sans réponses, des réponses pourtant nécessaires aux proches des victimes pour passer à autre chose dans leur existence”.