Belgique

”La vidéo de Conner Rousseau m’a fait penser aux interviews-confessions de Diana ou de Meghan Markle”

Cette vidéo s’inscrit dans une stratégie de communication d’influenceur (personne qui grâce à son exposition sur le web influence les internautes dans différents domaines, NdlR). Depuis quelques années, Conner Rousseau est le prototype de l’influenceur politique. Il est le community manager de sa propre marque. Des people, des stars de la télévision, du spectacle, proposent parfois des contenus exclusifs à la presse et qui sont payants. Ici, cette vidéo a été proposée contre rémunération mais, par principe, les médias flamands ont décidé de ne pas payer. Il s’agissait d’une interview déjà tournée et finie, avec une personnalité politique que l’on voit de toute façon chaque semaine à la télévision.

guillement

Depuis quelques années, Conner Rousseau est le prototype de l’influenceur politique. Il est le community manager de sa propre marque.« 

On sort de la communication politique classique…

Cette stratégie me semble étrange, sachant qu’elle vient d’une personnalité politique qui propose d’habitude des stories et des vidéos assez simples sur les réseaux sociaux. On a affaire à une longue et parfois pénible interview-confession. Musique d’atmosphère, ambiance intime… Cela m’a fait penser aux archétypes du genre, telles que les interviews de Diana ou de Meghan Markle. Les codes de la téléréalité ressortent nettement : une certaine vulnérabilité annoncée, une promesse de happening médiatique. Dans les termes qu’il utilise, il s’adresse à ses amis, à ses followers. Il ne parle pas à ses camarades socialistes, aux élus, aux militants.

Vooruit pourrait payer cher la médiatisation de son président.

Conner Rousseau fait-il passer son image avant celle de son propre parti ?

Depuis quelques années, le rebranding de Vooruit s’articule autour de la communication, de l’autopromotion de Conner Rousseau. Il y a six mois, on parlait de Conner Rousseau comme un futur Premier ministre construisant son image. Mais, ici, il revient dans le ton plus décalé propre aux réseaux sociaux, il court-circuite les médias traditionnels pour éviter les questions qui le mettraient dans l’embarras. Il joue aussi la proximité générationnelle avec son audience : il respecte un champ lexical destiné à le faire apparaître vrai, authentique aux yeux de ses followers.

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Conner Rousseau court-circuite les médias traditionnels pour éviter les questions qui le mettraient dans l’embarras.« 

Mais cette maîtrise totale des codes d’Instagram, de YouTube, tue justement toute sincérité….

Il y a une préméditation, en effet. C’est construit. Il est dans ce qu’on appelle “l’extimité” – le dévoilement stratégique de son intimité, l’exhibition stratégique. On voit cela arriver de plus en plus en politique. Cela donne cette vidéo de 14 minutes de condensé de pathos qui est censée déclencher l’empathie des followers sur les doutes de Conner Rousseau à l’égard de son orientation sexuelle.

Cette vidéo peut-elle être également une “frappe préventive” destinée à déminer de futures accusations ? Le président des socialistes flamands est soupçonné d’avoir eu des comportements déplacés avec de jeunes hommes mineurs.

On ne peut pas le prouver, bien sûr, mais on perçoit une dimension de contre-feu médiatique dans cette communication. À ce jeu, il faut éviter l’effet Kevin Spacey : l’acteur était en pleine gloire grâce à son rôle dans la série House of Cards et a été frappé de plein fouet par la vague Metoo. Il a été accusé de harcèlement. En guise de défense, il a révélé son homosexualité, mais cela lui a causé encore plus de critiques. Le registre intime, de “l’extimité”, peut déboucher sur un engrenage toxique, sur ce que les Américains appellent le shitstorm. Cette médiatisation en ligne rend aussi plus vulnérable.

Les gens pourraient se lasser des confidences en chaîne de Conner Rousseau ?

Oui. D’autant plus qu’il joue déjà le jeu des BV (Bekende Vlamingen, les “Flamands connus”) : il accepte les codes de la peopolisation dans de nombreuses émissions de divertissement en Flandre. Il se dévoile en permanence, dans le registre de la starisation. Il a dit qu’il allait prendre une pause car, psychologiquement, c’est éreintant de s’exposer de la sorte…

Conner Rousseau, le Roi de la com’ s’est planté

On compare souvent Conner Rousseau à Georges-Louis Bouchez dans leur relation aux médias. Mais, en réalité, Conner rousseau va beaucoup plus loin que le président du MR dans la mise en scène de lui-même.

Chez Georges-Louis Bouchez, on retrouve aussi la volonté de transgresser certains codes de la communication politique et de pratiquer une forme de mélange des genres, avec peopolisation, divertissement et prises de positions politiques. Mais le président du MR reste, en gros, dans la sphère politique : il ne verse pas dans “l’extimité”, sauf si on tient compte de ses mises en scène avec Liloo, son chien. Dans l’émission Special forces (émission de téléréalité flamande sur VTM, qui s’est terminée sur un flop retentissant pour le libéral), ce qui lui a porté préjudice, c’est qu’il ne maîtrise pas ce sens de l’exhibition. Bouchez a la volonté de saturer la conversation en ligne et le débat public en Belgique, d’être le premier sur certains thèmes et débats de société, mais je le sens moins dans cette volonté de mettre en scène son intimité ou une fragilité.

Conner Rousseau semble au contraire mettre de côté le combat idéologique.

Si Georges-Louis Bouchez reste dans une logique de confrontation politique, ce n’est pas la feuille de route suivie par Conner Rousseau. Il est dans la volonté d’engranger du capital sympathie. Il veut incarner le visage du progressisme en Flandre. Il veut nous dire que la valeur ajoutée qu’il apporte dans le débat, c’est lui-même.

guillement

Conner Rousseau veut nous dire que la valeur ajoutée qu’il apporte dans le débat, c’est lui-même. »