Belgique

”La Belgique est un État de droit, mais il y a des problèmes qu’on ne peut pas résoudre”

Nicole de Moor navigue en pleine tempête. Depuis deux ans, la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration doit composer avec la saturation du réseau Fedasil qui conduit des milliers de demandeurs d’asile à la rue. La situation vaut à l’État belge près de 8 500 condamnations prononcées par la justice belge et par la Cour européenne des droits de l’homme.

Dernier épisode en date : le Conseil d’État a suspendu la décision de ne plus accueillir les demandeurs d’asiles hommes isolés qui arrivent en Belgique car il juge cette décision contraire à la loi sur l’accueil. La secrétaire d’État reste cependant inflexible : impossible, selon elle, de respecter les décisions de justice dans le contexte actuel. Ce qui ne lui vaut pas que des félicitations. “Si Nicole de Moor s’estime incapable de mettre en œuvre des solutions ou qu’elle ne le souhaite pas, elle doit passer la main”, lançait le co-président d’Écolo, Jean-Marc Nollet vendredi matin sur la Première (RTBF). Crise politique en vue ?

Comptez-vous revenir sur votre instruction donnée à Fedasil et ainsi respecter la décision du Conseil d’État ?

Je suis d’accord avec le Conseil d’État quand il dit que chaque demandeur d’asile a droit à une place d’accueil. J’ai toujours dit que nous faisons tout ce qui est possible pour garantir ce droit. Mais l’arrêt du Conseil d’État ne me donne pas soudainement des milliers de places d’accueil supplémentaires. Tant que nous manquons de places d’accueil, je dois faire des choix et j’ai donné la priorité aux familles et aux enfants. Quand je suis devenue secrétaire d’État, je ne rêvais pas de faire ce choix ! C’est un choix difficile et j’en prends la responsabilité. Je ne peux pas demander à Fedasil de le faire. Bien sûr, nous devons créer des places supplémentaires. Nous y travaillons depuis deux ans. Aujourd’hui, le réseau est le plus vaste jamais crée et ce sont surtout des places structurelles. En 2015, une grande partie des places crées étaient des places d’urgence. Cela correspondait aux caractéristiques de la crise de l’époque qui était soudaine mais limitée dans le temps. En 2015 aussi, les décisions d’asile étaient plus rapides à prendre car la plupart des demandeurs de protection fuyaient la guerre et avaient droit au statut de réfugié. Or aujourd’hui on est confronté à des migrants venant du monde entier avec des dossiers plus complexes.

Les demandeurs d’asile sont majoritairement accueillis à Bruxelles et en Wallonie

La fin de l’accueil des hommes seuls n’est pas limitée dans le temps. Son application se compte-t-elle en semaines, en mois ?

Je ne saurais pas le dire. Il y a aujourd’hui en moyenne 200 personnes qui arrivent chaque jour et 100 personnes qui quittent les centres – ce qui est par ailleurs déjà bien plus que l’année passée où c’était plutôt 50. Il ne faut pas être grand mathématicien pour comprendre que chaque jour, il faut cent nouveaux lits. À titre d’exemple, 100 places, c’est la capacité du centre de Grimbergen qui va ouvrir dans quelques semaines, après un an de discussion et de travail. Il faudrait un centre de ce type chaque jour. C’est impossible ! Personne ne peut dire que nous n’avons pas travaillé et que nous ne sommes pas solidaires. La Belgique fait aujourd’hui beaucoup plus que sa part au niveau européen.

Il existe d’autres solutions que les lits en centre Fedasil : ouvrir des places dans les hôtels, opter pour un plan de répartition…

Le plan de répartition est une fausse bonne idée. Pour certains, il est très compliqué de voir la réalité en face. Nous avons en Belgique 581 communes, et 500 ont des places d’accueil sur leur territoire. Il y a donc une répartition. Les 35 000 places sont réparties sur l’ensemble du territoire. Il y a même une obligation. Je peux vous dire que quand j’appelle un bourgmestre pour dire qu’un centre verra le jour dans sa commune, presque aucun n’est d’accord. Il est facile pour les partis de la majorité et de l’opposition de dire que je dois créer des places d’accueil. Quand je le fais, les bourgmestres s’y opposent. Et je les comprends, c’est un défi. Ces partis qui me montrent du doigt ne prennent pas leurs responsabilités. En outre, le plan de répartition prévu dans la loi concerne l’accueil dans les maisons individuelles. Mais le marché immobilier est complètement saturé. Fedasil éprouve des difficultés à trouver des logements pour les réfugiés reconnus, ce qui permettrait de les faire sortir des centres. Donc non, je ne peux pas créer de place d’accueil dans des maisons individuelles parce qu’il n’y en a pas. Nous utilisons celles qui sont disponibles pour les réfugiés reconnus.

En 2015 et 2018, la Belgique avait créé de grands centres, notamment avec des tentes. Les Pays-Bas, qui sont aussi empêtrés dans une crise de l’accueil, ont fait de même. Pourquoi ne pas le faire ?

On le fait ! Nous accueillons des demandeurs d’asile dans des anciennes maisons de repos, dans des anciens hôpitaux, et même dans des tentes et des containers. Que ceux qui pensent qu’on ne le fait pas aillent voir sur le terrain ! C’est déjà la réalité. Il est très simple de dire : “Créons 2 000 places (le nombre approximatif de personnes sur la liste de l’attente – NdlR) et le problème est terminé”. Si c’était le cas, la crise serait derrière nous puisque nous avons créé 9 000 places depuis 2 ans ! Le problème n’est pas simple. Il est plus aisé de me décrire comme quelqu’un qui ne veut pas accueillir les demandeurs d’asile et que dès lors je ne cherche pas de solutions. La réalité, c’est que, malgré tous les efforts déjà menés par Fedasil, nous n’arrivons pas à en sortir. Et nous n’allons pas en sortir si nous continuons à être confrontés à autant d’arrivées. Nous avons pour cela besoin d’une réforme du système européen qui prévoit une répartition plus équitable entre les pays et un meilleur contrôle des frontières.

Quand on regarde la répartition entre les Régions, on constate que la Flandre accueille, en valeur absolue, moins que la Wallonie. Comment l’expliquer ?

C’est vrai qu’il y a plus de places dans les grands centres en Wallonie mais à l’inverse, il y a davantage de réfugiés reconnus qui habitent en Flandre. C’est un déséquilibre historique et je ne peux pas rééquilibrer dans une situation de crise ; aujourd’hui, j’ouvre chaque place disponible. Le moment n’est pas approprié pour lancer une discussion communautaire.

Face à l’incapacité à respecter l’arrêt du Conseil d’État, une trentaine d’universitaires se sont indignés, dans une carte blanche, de la mise à mal de l’État de droit. La Belgique est-elle encore un État de droit ?

Je comprends que le monde académique ait des préoccupations. Je les partage. Je suis d’accord avec le Conseil d’État ! Mais je dis aussi qu’aujourd’hui nous n’avons pas suffisamment de places. On dit souvent que je cours après l’extrême-droite. Mais si c’était vraiment le cas, pourquoi je dirais, dans chaque interview, qu’il faut continuer d’ouvrir des places d’accueil ?

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Je ne veux pas nier que tout le monde a droit à l’accueil. Je ne laisserai personne dire que je ne veux pas respecter ce droit.

Et donc, la Belgique est-elle un État de droit ? Oui ou non ?

Oui, bien sûr, la Belgique est un État de droit. Mais il y a des problèmes qu’on ne peut pas résoudre en un clin d’œil. Je ne veux pas nier que tout le monde a droit à l’accueil. Je ne laisserai personne dire que je ne veux pas respecter ce droit.

Lire la suite de l’interview : Nicole de Moor, secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration après les élections ?