Belgique

Charlotte a perdu ses deux enfants, tués par leur père: « Je n’avais pas envie d’une justice haineuse. Je ne me suis pas sentie écoutée »

Foudroyée par la douleur, anéantie, désenfantée, elle prend la décision de se faire hospitaliser – elle restera neuf mois en clinique. En décembre 2015, le père des enfants est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de Liège. Avant les faits, la maman, juriste de formation, travaillait dans l’insertion professionnelle. À la suite du meurtre de ses enfants, elle a perdu son travail. Un an après le procès, elle a repris des études en criminologie.

L’expérience d’une souffrance extrême

Une tentative de donner du sens à ce qui n’en avait pas ? “J’étais habitée par le désir de comprendre”, dit Charlotte Laurent. Au début, elle ne sait pas très bien comment se servir de cette expérience originelle, à l’origine d’une souffrance extrême pour elle. Elle en fera le point de départ d’une recherche, dans le cadre de son mémoire, qui se focalise sur le traitement pénal réservé à ce type de passage à l’acte. Ce mémoire a ensuite évolué, pour devenir un livre*.

Le travail qu’elle entreprend devient un moyen d’action, de faire face à ce qu’elle subit. Charlotte Laurent le centre autour de l’infanticide et de l’expérience avec la justice depuis son point de vue de victime secondaire, comme maman des enfants tués par leur père.

Pas écoutée du tout

“Je n’ai pas de haine vis-à-vis de lui. C’est une attitude qui ne correspond pas avec la vision que la justice a d’une victime. Je ne me suis pas sentie écoutée du tout”, explique-t-elle.

Un seul exemple ? Au cours de l’instruction, elle a demandé, à plusieurs reprises, une confrontation avec son ex-compagnon qui a tué leurs deux petits garçons. “Cela m’a toujours été refusé. On me disait que c’était pour mon bien, pour me protéger. Je me suis sentie infantilisée”.

En termes émotionnels, un procès d’assises, c’est très lourd, d’autant plus quand, dans la famille meurtrie, tous les membres ne sont pas sur la même longueur d’onde. “Nous voulions tous que justice soit faite, sauf que nous avions une vision divergente de la justice. C’est cela qui a été difficile à vivre. Je voulais une justice juste, et dialogique. Ma famille se centrait plus sur la peine qui allait découler du procès : le moyen pour arriver n’était pas essentiel.”

Un mot détesté

Ses proches avaient aussi peur pour Charlotte qu’ils considéraient comme la victime. Ce mot-là, “victime”, “je le déteste”. Chacun a fait ce qu’il pouvait avec ce qu’il vivait, décode-t-elle aujourd’hui.

Elle évoque aussi une justice corporatiste. Son père avait été premier avocat général à Liège, arrondissement où s’est tenu le procès d’assises. “On a fait justice à mon père, pas à moi. Après que j’ai dit ce que j’avais à dire, le président ne m’a plus posé de questions.”

L’écriture de ce livre lui a permis de prendre de la distance. Charlotte Laurent a cherché d’autres parents concernés par un filicide. Madeleine, une jeune femme d’une trentaine d’années, a accepté de participer à son travail. En décembre 2017, ses deux garçons, Jules (6 ans) et Timothée (4 ans) ont été tués par leur père dont elle vivait séparée. En septembre 2019, l’homme a été condamné à perpétuité pour meurtre avec préméditation par la cour d’assises de Liège.

Les deux histoires sont traversées de similitudes : il s’agit de deux mères dont le couple traverse une période de rupture et qui ont perdu leurs deux enfants en bas âge tués par leur père.

Un certain recul

L’autrice s’est servie de ce témoignage pour le confronter à son vécu de mère victime. “Et je me suis rencontrée moi-même.” Pour les besoins de la recherche, elle s’est fait interviewer par une collègue avant de travailler elle-même ce matériau. “Cela m’a demandé un certain recul par rapport à mon histoire.”

Ce qui ressort du livre ? “Toutes les victimes ne sont pas pareilles. C’est un mot vide. Au final, toutes les deux, on n’est pas satisfaites de la justice.”

De n’avoir pas eu la place qu’elles auraient dû occuper. Madeleine, pourtant en accord avec la rationalité pénale moderne, s’est sentie mise à l’écart, avec l’impression que l’accusé était au centre et occupait le devant de la scène, aux côtés du ministère public.

Charlotte, en désaccord avec “cette justice haineuse”, s’est, elle, sentie littéralement expropriée de son propre conflit. “Je n’avais juste pas envie de ça. Je n’ai pas choisi de ne pas ressentir de haine. Il faut faire avec. Ça m’a sauvée de ne pas lâcher mon point de vue et de ne pas me laisser aspirer par l’opinion publique, par la justice. Depuis le début, j’ai ma ligne de conduite et je suis restée dessus.”

* Justice et infanticide, expériences des proches de victimes, Éditions Larcier.