France

Crise de l’énergie : Legrand observe « une accélération » sur ses produits « liés à la transition énergétique »

Entre la hausse du prix de l’électricité et les enjeux de sobriété énergétique, le groupe français Legrand, un des leadeurs mondiaux de l’appareillage électrique, a vu « une vraie accélération » concernant ses produits liés à la réduction de la facture énergétique. « Le télétravail, la transition énergétique, la sécurité, sont des sujets qui vont dans l’ensemble tirer notre domaine d’activité dans les dix prochaines années » analyse son directeur général, Benoît Coquart.

Le groupe qui a engrangé 812 millions d’euros de bénéfice net lors des neuf premiers mois de 2022, en hausse de 16,1 % sur un an, pour un chiffre d’affaires de 6,154 milliards (+ 19,1 %) a par ailleurs annoncé mercredi son retrait de Russie, où il avait poursuivi ses activités après l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, comme Bonduelle, Leroy-Merlin et Auchan (Mulliez), ou encore Lactalis. Quelque 1.100 personnes travaillent pour le groupe en Russie, où Legrand compte quatre usines.

Le groupe Legrand a annoncé mercredi soir son retrait de la Russie. Pourquoi y être resté depuis le début de la guerre en Ukraine, et qu’est-ce qui justifie aujourd’hui votre retrait ? 

La Russie ne représente qu’1,5 % de notre chiffre d’affaires et notre activité y était déjà réduite en raison des sanctions internationales. Les évolutions de ces derniers mois rendent très difficiles la continuité du business. C’est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de nous désengager.

Le sujet de la sobriété énergétique, au cœur de l’actualité depuis plusieurs mois, vous concerne directement. Comment se traduit-il pour votre groupe ?

C’est un sujet dans lequel nous investissons beaucoup depuis plusieurs années. Un peu plus de 20 % du chiffre d’affaires de Legrand concerne désormais des produits liés à la maîtrise de la consommation électrique, avec des produits pour le logement, pour les bâtiments tertiaires et pour les centres de données, qui consomment, pour ces derniers, 1 % de l’électricité mondiale, mais qui pourraient atteindre 3 % en 2030 si on ne fait rien. Par ailleurs, nous réduisons aussi notre consommation dans nos bureaux, dans nos usines. En dix ans, nous avons réduit nos émissions de CO2 de 35 %, alors même que notre chiffre d’affaires a augmenté de 65 %. C’est-à-dire que pour un euro de chiffre d’affaires produit, nous avons besoin de deux fois moins d’énergie qu’il y a dix ans.

Quels sont les produits qui ont le plus la cote ?

Sur deux ans, en Europe – qui est le continent où ces sujets-là explosent – nous avons pu constater sur nos résultats à fin septembre, que nos produits liés à la transition énergétique connaissent une croissance de dix points supérieure aux autres produits sur la zone, il y a une vraie accélération. Je pense notamment au thermostat connecté, qui est le produit iconique de la transition énergétique. Un degré économisé grâce à ce type de solution représente 7 % en moins sur la facture énergétique, sachant que les ménages dépensent en moyenne 1.300 euros par an en énergie pour leur logement. Ensuite, il existe des solutions plus complexes qui permettent de mesurer vos consommations, et le cas échéant de délester. Au final, si ce type de système intelligent peut permettre aux ménages d’économiser jusqu’à 20 à 30 % sur leur facture annuelle, dans un contexte de coût de l’énergie qui sera durablement plus élevé, c’est énorme.

La montée en puissance du télétravail ces dernières années change aussi la donne, car on équipe davantage son domicile. Le ressentez-vous également ?

C’est moins facile à quantifier que les produits liés aux économies d’énergie car c’est plus diffus, mais cela tire aussi notre activité, car on ne peut pas télétravailler sans avoir une bonne qualité de débit, de la connectique pour recharger ses appareils… Pendant la période du Covid, il y a ainsi eu une espèce de ruée vers l’équipement de la maison. A partir du deuxième trimestre 2021, on a vu clairement que les ménages se sont tournés vers d’autres types de dépenses. Le secteur a subi le contrecoup de cela, mais c’est un domaine qui sera en progression sur du moyen terme, car depuis le confinement, les gens souhaitent réinvestir leur logement, ils se sont aperçus qu’il leur manquait une pièce, ou qu’il leur manquait un équipement… Le télétravail, la transition énergétique, la sécurité, sont des sujets qui vont dans l’ensemble tirer notre domaine d’activité dans les dix prochaines années.

Comment voyez-vous l’évolution dans le secteur du bâtiment ?

A court terme il peut y avoir un peu de frilosité, à cause du contexte économique et géopolitique, mais à moyen terme, je pense qu’il y aura beaucoup de facteurs qui vont plutôt tirer le marché du bâtiment vers le haut. Nous passons énormément de temps dans un bâtiment, que ce soit au bureau ou chez nous, or c’est un endroit qui est globalement sous-équipé. Environ 70 % du parc européen – résidentiel et tertiaire – est considéré comme inefficace énergétiquement, il est souvent mal connecté, mal éclairé, pas toujours bien sécurisé… Et seulement 1 % des bâtiments sont rénovés chaque année. C’est-à-dire que pour passer de 30 % de bâtiment efficace énergétiquement à 100 %, qui est l’objectif 2050, il faudrait qu’on double ou qu’on triple le rythme de la rénovation. Dans les dix ans qui viennent, il va donc y avoir des changements majeurs, parce que pour des investissements relativement faibles, on peut avoir des bâtiments beaucoup plus efficaces. Rappelons que le bâtiment représente 40 % des consommations énergétiques.

Et il y a tout ce qui est lié à la domotique, comment voyez-vous la maison d’ici à 2030 ?

Il n’y a plus le fantasme de la maison autonome. Les particuliers ne veulent pas de cela, mais ils veulent qu’on automatise un certain nombre de gestes simples. Ils veulent un bouton qui permette d’éteindre toutes les lumières, pouvoir programmer 22 °C dans la salle de bains et 18 °C dans les chambres, des caméras pour recevoir sur son smartphone l’image de la personne qui sonne à la porte… La maison de 2030 aura de plus en plus de ces petits automatismes qui vont simplifier la vie des gens à l’image de ce que l’on a pu voir dans l’automobile.

L’enjeu de la voiture électrique vient aussi bousculer le marché, jusque chez soi avec la problématique de la recharge. Comment vous positionnez-vous sur cet aspect ?

Les recharges pour voiture électrique représentent environ 1 % du chiffre d’affaires du groupe au niveau mondial, ce qui pèse quand même entre 70 et 80 millions d’euros. Il va y avoir une montée en puissance de la voiture électrique, mais qui devra s’accompagner d’une augmentation de la production d’électricité, que ce soit via le nucléaire ou les renouvelables, d’autant plus que parallèlement, il y a une électrification de tout un tas d’autres usages. Concernant notre domaine d’activité, il faudra équiper les bâtiments de systèmes de gestion intelligents de la charge pour délester, et éviter ainsi des pics de consommation qui poseraient de gros problèmes.

Concernant les matériaux, subissez-vous des pénuries, et quelles sont les hausses des matières premières ?

Il y a eu des difficultés d’approvisionnement sur les composants électroniques en 2022, parce que les usages en demandent de plus en plus, mais la situation devrait s’améliorer en 2023. Sur les prix, l’ensemble des matières et des composants a augmenté de manière significative, de quasiment 15 % en moyenne à fin septembre 2022.

Sur un autre sujet, vous avez fait part en décembre de votre exaspération à la SNCF, concernant une dégradation de la ligne Paris-Limoges, soulignant que vous étiez un des rares groupes du CAC40 à avoir fait le choix de maintenir son siège en province. Qu’en est-il ?

La société a été créée en 1860 à Limoges, car au départ, c’était une fabrique de porcelaine, et depuis elle est toujours restée à Limoges. Je pense que, dans le contexte d’aujourd’hui, c’est un atout, à condition de résoudre le problème d’enclavement. Je me suis ému auprès de la SNCF de la suppression de trains, et d’une manière générale de la dégradation de la qualité de la ligne Paris-Limoges, qui commence à être un véritable obstacle pour attirer des clients et des jeunes diplômés. La SNCF a depuis réintroduit un train à des horaires acceptables pour les Limougeauds, et s’est engagée à une amélioration de la qualité, sachant que tout cela doit véritablement progresser d’ici à 2026 avec l’arrivée de nouvelles rames. Quand on est une société internationale basée à Limoges, avoir une liaison fluide avec la capitale est une condition sine qua non pour mener nos opérations. Nous restons très attachés à Limoges.