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Une semaine après la tragédie, la colère s’empare de la rue grecque: « La catastrophe était prévisible. On aurait pu éviter ces morts”

Les terribles images de l’accident entre deux trains en Grèce: un deuil de trois jours a été décrété

Toutes les générations étaient dans les rues, des nourrissons dans les poussettes aux grands-parents. Cela n’a pas empêché les forces antiémeutes, pourtant restées extrêmement discrètes en début de manifestation, de charger la foule dès les premiers jets de pierre et de cocktails Molotov. L’air est devenu très rapidement irrespirable place Syndagma où une voiture a été incendiée. “Ils veulent casser notre colère, mais on ne bougera pas”, lâche Mélania, septuagénaire réfugiée quelques instants temps dans un café. Ragaillardie par un verre de vin blanc elle est repartie manifester.

Une semaine après la tragédie ferroviaire, non seulement la colère des Grecs s’est décuplée. “Ils veulent tout mettre sur le dos du chef de gare et protéger ceux qui depuis des années ont laissé le réseau ferroviaire pourrir”, souligne Christina, 26 ans, cuistot. “On n’est pas d’accord. On va continuer à manifester. On veut que l’enquête aille jusqu’au bout”.

Ce que redoutent le plus les Grecs, c’est que l’enquête en cours ne soit pas transparente et que tous les coupables ne soient pas traduits en justice et punis. De fait, dès le lendemain de la tragédie, le Premier ministre, le conservateur Kiriakos Mitsotakis, a fait des déclarations qui mettaient clairement en cause le chef de gare à l’origine de l’erreur d’aiguillage et lui seul. Par la suite, il a reconnu “des défaillances du système public des trains grecs”. Dimanche dernier, il a demandé pardon mais il n’a convaincu personne et surtout pas les jeunes. Jamais il n’a parlé de la société italienne Ferrovie dello Stato Italiane qui a racheté les trains nationaux grecs. Jamais il n’a mis en cause cette privatisation décortiquée par la presse grecque qui publie constamment des enquêtes plus alarmantes les une que les autres.

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Des questions sans réponse

Les Grecs s’interrogent sur les systèmes de signalisation et de sécurisation qui auraient dû être fonctionnels depuis 9 ans mais qui ne l’ont jamais été, sur l’utilité des 50 millions de subventions perçus chaque année par la compagnie italienne en échange des améliorations du système ferroviaire, sur la vétusté des wagons qui se sont enflammés comme des torches mardi dernier. Des voitures identiques à celles des trains ETR que les Chemins de Fer suisses ont mis à la casse en 2014, notamment parce qu’ils s’enflammaient facilement en cas d’accident. Pourquoi la société italienne les a-t-elle envoyés en Grèce ?

Interrogé sur ces questions par la Libre, le nouveau ministre des Transports a déclaré “ne pas être au courant de cette affaire”. Les syndicalistes grecs avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme depuis des années. Takis Tersoglou, du syndicat de la compagnie hellénique des chemins de fer, s’en étrangle. “On a envoyé des courriers pour prévenir que cela n’allait pas, que l’accident mortel était une question de temps. On a fait des rapports, on a demandé une formation du personnel. On ne nous répondait pas. La catastrophe était prévisible. On aurait pu éviter ces morts”.

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Pour Gerasimos Kouzelis, professeur de science politique à Athènes, les privatisations en Grèce au lieu de faire avancer le pays, “sont partie intégrante de la corruption. Elles entretiennent le système de clientélisme un peu comme dans les pays du tiers-monde. On a connu d’autres catastrophes, des incendies, des inondations meurtrières. Si rien ne change cela continuera”.

Pour beaucoup, cette catastrophe est la cristallisation du dysfonctionnement chronique de l’État grec depuis des décennies. “C’est la cerise sur le gâteau”, dit Eleni, professeure venue manifester en famille. “Là, on a touché le fond. Si on ne fait rien, on a l’État que l’on mérite.” Le ministre des Transports Konstantin Karamanlis qui a démissionné le lendemain de la catastrophe est toujours sur les listes des prochaines législatives du parti conservateur prévues désormais en mai.