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En Ukraine, on attend fiévreusement la contre-offensive : « Je commence franchement à être agacé par ces discussions »

Plus de treize mois après le début de l’invasion russe, et déjà cinq mois après la libération de Kherson, dernière grande victoire ukrainienne, c’est une attente fiévreuse qui s’est installée dans le pays. Une attente entretenue par des déclarations régulières des autorités ukrainiennes qui, tout en maintenant le flou sur leurs intentions, n’hésitent pas à souligner l’importance de l’offensive à venir.

Les trois prochains mois “détermineront le cours de la guerre”, assurait, le 27 mars, le très populaire chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov. La contre-offensive “est déjà planifiée dans plusieurs directions […] et je pense que les conditions climatiques seront bonnes en avril ou mai”, notait, le 29 mars, le ministre de la Défense, Oleksiy Reznikov. “Je n’évoquerai rien de spécifique”, déclarait de son côté le président Volodymyr Zelensky le 3 avril, “mais nous nous préparons et ils [les soldats russes] doivent le savoir. Ils ont encore le temps de partir ; autrement nous les détruirons”.

Secrets d’État

Des préparatifs qui tiennent du secret d’État, au point de susciter des débats sur la capacité de l’armée ukrainienne à mener ce qui sera sans aucun doute sa plus complexe opération depuis le début de l’invasion russe. “Tout le monde parle de l’offensive comme s’il s’agissait d’un événement absolument certain”, s’inquiète, dans une tribune, le blogueur militaire ukrainien Youri Boutoussov. “Mais le problème est qu’il faut d’abord créer les conditions qui permettent l’offensive, et celle-ci ne sera un succès que si la défense ennemie est désorganisée et que l’ennemi a perdu sa capacité à combattre.”

En Ukraine, les tracas d’une mobilisation qui s’accélère

Kiev a, ces dernières semaines, mis en avant des “brigades d’assauts” formées uniquement de volontaires et vouées à former le fer de lance de l’offensive à venir. Les équipements occidentaux devraient aussi jouer un rôle de premier plan, des plus évidents, comme les chars de combat, aux plus obscurs : le M58 américain, une fusée tirant une charge de ligne explosive permettant de déminer instantanément un couloir de 100 mètres de long, devra ainsi permettre aux unités ukrainiennes de percer dans des zones hautement minées et fortifiées.

D’où partirait cette contre-attaque ? Le secret est, là aussi, de mise. Mais tous les regards sont, depuis plusieurs semaines, braqués sur le sud du pays et notamment sur Melitopol, capturée par l’armée russe dans les premiers jours de l’invasion. La libération de cette ville, 80 kilomètres au sud de la ligne de front, permettrait à l’Ukraine de couper l’approvisionnement des unités russes sur la rive gauche du Dniepr. Elle verrait surtout l’armée ukrainienne arriver à portée de la péninsule de Crimée, un enjeu crucial aussi bien sur le plan militaire que politique, alors que plusieurs chancelleries occidentales doutent de la capacité de Kiev à reprendre cette région annexée par Moscou en 2014.

“S’il devient clair que l’armée ukrainienne parvient à avancer dans plusieurs directions […] et que nous pouvons forcer l’ennemi à battre en retraite, l’Ukraine verra aussi cela comme une levée des obstacles politiques et diplomatiques liés à la libération de la Crimée”, estime ainsi Maria Zolkina, analyste politique ukrainienne auprès du think tank Democratic Initiatives Foundation.

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L’ennemi a tiré des enseignements, fortifié ses positions, surveille la ligne de front 24 heures sur 24.

Mais l’espoir d’une contre-offensive rapidement couronnée de succès vient avec la crainte d’un contrecoup au sein de la population en cas de revers. “Je commence franchement à être agacé par ces discussions constantes sur la contre-offensive”, écrivait fin mars sur sa page Facebook Yegor Firsov, un ancien député aujourd’hui engagé dans l’armée ukrainienne. “Tout le monde s’imagine que cela va forcément se passer comme à Kharkiv [en septembre 2022], quand 150 villages ont été libérés presque sans aucune perte. Mais la situation est différente aujourd’hui, l’ennemi a tiré des enseignements, fortifié ses positions, surveille la ligne de front 24 heures sur 24. […] Quand la contre-offensive viendra, il faudra l’évoquer de manière responsable. Parce que les mots forment l’opinion publique, et l’opinion publique influence les décisions des politiciens.”

Une question de la perception qui reste présente en permanence dans l’esprit du président ukrainien. Dans un entretien à l’Associated Press, Volodymyr Zelensky a ainsi expliqué son refus de laisser ses forces quitter la ville de Bakhmout, théâtre de brutaux combats depuis près de sept mois, par la crainte qu’une défaite ne démoralise la population et force Kiev à des négociations. “Notre société se sentira fatiguée [en cas de défaite à Bakhmout], et poussera pour que j’arrive à un compromis avec [les Russes].”