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Attentat de Manhattan en 2017 : « Le procès était absolument nécessaire »

Dans l’après-midi du 31 octobre 2017, jour d’Halloween, Saipov, un ressortissant ouzbek installé aux États-Unis depuis sept ans après avoir obtenu une « carte verte » à la loterie organisée par le gouvernement américain, fonçait avec un gros pick-up de location dans une foule de joggeurs et de cyclistes, sur une jolie promenade aménagée au bord de l’Hudson à Manhattan. Il poursuivit son carnage sur près de deux kilomètres, avant d’encastrer son véhicule dans un bus scolaire. Après s’en être extrait, l’homme, qui se réclamera plus tard de l’État islamique, brandit deux armes, en criant « Allahu akbar ». Blessé à l’abdomen par un policier, il fut neutralisé et arrêté.

Des victimes belges

Huit personnes perdirent la vie : deux Américains, cinq touristes argentins et une jeune mère de famille belge, Ann-Laure Decadt, 31 ans, qui passait des vacances à New York. L’attentat fit également de nombreux blessés, dont une douzaine dans un état grave. Parmi ces derniers, un couple anversois, Aristide Melissas et Marion Van Reeth, en vacances, eux aussi, avec leur fils Daryl et leur neveu Timothy Buytaert pour fêter leur 16e anniversaire.

Marion est la plus durement touchée ; on devra l’amputer des deux jambes. Aristide a le crâne ouvert sur 14 cm et trois vertèbres fracturées. Daryl est lui aussi grièvement blessé à la tête, mais pourra quitter l’hôpital après quelques jours. Timothy s’en sort par miracle avec des blessures légères. Pour tous, le chemin de la reconstruction, physique et psychologique, sera long et douloureux. Vingt-huit mois de revalidation pour la maman qui, cinq ans et demi après le drame, fait encore trois séances de kiné par semaine.

Le mental de grands sportifs

« On va plutôt bien », nous dit Aristide Melissas, au lendemain de la conclusion du procès, « avec pour objectif d’aller le plus loin possible. Pour mon épouse, c’est l’espoir de pouvoir remarcher du matin au soir – avec ses prothèses. Pour le moment, ce n’est pas plus de deux heures. Au-delà, c’est trop dur pour elle. Mais elle a une force de caractère dingue. »

C’est au hockey, que toute la famille pratiquait, qu’Aristide Melissas attribue l’énergie mentale qui leur a permis de rebondir. « C’est un sport dans lequel on apprend à se battre, à se relever, à continuer », explique-t-il. « Mon fils et mon neveu ont repris. Moi, je m’y suis remis depuis peu, gentiment… » Gentiment parce que, précise-t-il, « chez moi, les séquelles se voient moins, mais sont néanmoins sérieuses. Je souffre de déséquilibres fréquents. Souvent, c’est bref, mais, parfois, cela peut durer une heure. »

Avec le Tour de France

La famille Melissas a aussi puisé dans l’engagement social les ressources nécessaires pour surmonter l’adversité. Elle a participé au lancement de la Fondation Together Stronger, qui a créé un vaste mouvement de solidarité avec toutes les victimes du terrorisme dans le monde. Un fléau dont on ne mesure pas bien l’étendue, insiste Aristide. Au cours des vingt dernières années, rappelle l’association sur son site (1), 131 345 attentats, 315 979 morts, 433 996 blessés… Le terrorisme peut faire basculer la vie de tout un chacun, n’importe où, à n’importe quel moment.

Cela mérite bien qu’on consacre un jour par an à en prendre conscience, poursuit Aristide Melissas. Avec le soutien de la famille d’Eddy Merckx, un « homme fantastique », et de l’organisation, « formidable », du Tour de France, cette journée, aux alentours du 14 juillet (date anniversaire de l’attentat de Nice), prend désormais la forme d’un exploit sportif : victimes, proches et amis grimpent un des cols mythiques du Tour. Le Ventoux en 2021, l’Alpe d’Huez l’année dernière, et le Grand Colombier l’été prochain.

L’utilité du procès

Après tout ce chemin parcouru, le procès avait-il encore une utilité, le coupable étant connu et sa motivation établie ? « Il était absolument nécessaire », souligne Aristide Melissas, qui est reconnaissant aux autorités américaines d’avoir pris en charge les frais pour que les familles puissent assister aux audiences. Il a permis d’obtenir des réponses à des questions précises – les Melissas ont ainsi obtenu confirmation qu’ils avaient été les premières victimes fauchées par la camionnette, alors lancée à 65 km/h. Il a surtout offert un réconfort moral. « Le procès sert d’abord à être ensemble. On n’a pas besoin de se parler beaucoup. On s’entrelace. Cela fait un bien fou. »

Et le verdict ? « Sincèrement, je pense que c’est celui qui est le plus en corrélation avec ce que nous subissons, parce que nos blessures, nos pertes, sont aussi à vie », estime Aristide Melissas, en se félicitant qu’aux États-Unis, un condamné à la perpétuité le soit réellement. L’exécution de Saipov aurait été la première à New York depuis celle des époux Rosenberg, reconnus coupables d’espionnage au profit de l’URSS, en 1953.

(1) Pour aider, donner et s’informer : https://togetherstronger.eu