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« On veut donner aux États les moyens de savoir où est l’argent » : après les scandales liés aux cryptomonnaies , les régulateurs passent à l’offensive

Mais au-delà de ce procès qui se profile à l’automne, la ruine d’une foule d’investisseurs particuliers pose la question de leur protection. Et cette question doit être réglée. Selon les sources, de 200 millions à plus de 300 millions de personnes utilisent les cryptomonnaies pour effectuer des paiements. Au Salvador, le bitcoin a même été élevé au rang de monnaie officielle.

Un écosystème actif

C’est assez dire que, si un écrémage est en cours dans ce secteur, il serait faux de penser que le phénomène va s’estomper. Et la spéculation sur ces actifs à la valeur intrinsèque très difficile, voire impossible à déterminer, cache des applications pratiques et un espace de créativité qui ne sont pas sans intérêt. Dans l’attente, il règne dans ce secteur une insécurité qui appelle l’action des autorités.

Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) est mise sur la sellette pour son manque de réactivité. On reproche au gendarme financier américain de n’avoir pas su détecter les problèmes avant que surviennent les accidents. Alors, après une année passée à gérer des formations pour des membres spécialisés dans le monde des actifs numériques, la SEC est passée à l’action et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle multiplie ses interventions. L’organisme, qui fait trembler le monde financier par son pouvoir et ses méthodes musclées, a commencé par regarder de très près les opérations dites de staking de cryptomonnaies, et à interdire ces opérations très lucratives aux opérateurs du secteur. Ces opérations permettent aux détenteurs de cryptos de les “prêter” à un opérateur qui les utilise pour valider des transactions. Cette alternative aux techniques classiques des cryptomonnaies (minage) est moins gourmande en ressources, rentable, et permet aux opérateurs de rémunérer les prêts de cryptos. Mais aux yeux de la SEC, ceci s’apparente à une activité bancaire classique.

L’homme qui est aux commandes dans cette offensive n’est autre que Gary Gensler, le président de la SEC, entré en fonction en 2021. Et son credo est que les actifs proposés sous diverses formes aux investisseurs auraient pour la plupart dû être enregistrés auprès de la SEC avant d’être proposés au public. Pour lui, ces actifs sont assimilables à des titres classiques, action ou obligations, et devraient donc être soumis aux mêmes contraintes, dans un cadre légal identique. Il semble que son point de vue devra être validé par la justice américaine après contestation des avocats de certains acteurs du monde des cryptos. Curieusement, il a estimé cette semaine que le bitcoin, isolé d’un projet commercial, pouvait jouir d’un statut spécial…

À la mi-février, c’est un autre régulateur, new-yorkais, qui a bloqué l’émission par la société Paxos de “stablecoins”, cryptos (BUSD) adossées au dollar et aux obligations d’État américaines. Des unités BUSD, quelque 6,2 millions de clients de Binance en détiendraient pour l’équivalent de 16 milliards de dollars. Il semble que l’émetteur va en faciliter l’échange contre d’autres cryptos. Avec quels effets ? À suivre.

Les cryptomonnaies sont-elles vraiment efficaces pour aider les victimes de catastrophes naturelles ?

Les banques se retirent du jeu

Le repositionnement des autorités de contrôle commence toutefois à effrayer les banques, partenaires incontournables des courtiers en cryptos. Dans une analyse publiée par le Wall Street Journal (WSJ), on explique que les banques commencent à s’éloigner des sociétés impliquées dans les actifs numériques, surtout celles qui sont inquiétées par la SEC. Les plus petites banques qui se sont lancées dans ce nouveau segment commencent à s’en désengager, et celles qui s’étaient tenues à l’écart vont jusqu’à fermer les comptes de clients en lien avec le secteur, explique une source au WSJ. Or, même pour des entreprises qui se posent comme des alternatives aux services bancaires, il est compliqué de vivre sans connexion au monde bancaire et aux monnaies officielles.

Un cadre européen pour 2024 ?

Les grands organismes supranationaux rivalisent de prises de position ces derniers jours. Faut-il interdire les cryptos, les isoler du monde financier classique, les assimiler à des produits financiers “normaux” ? Toutes les options sont proposées.

L’Union européenne veut se doter d’un cadre légal sous la forme d’un règlement européen unique mis en œuvre partout au même moment. La députée européenne belge Assita Kanko (CRE) a participé à l’élaboration du cadre tel qu’inscrit dans la proposition de règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets). Pour elle, le projet de loi approuvé en Commission est actuellement en pause. “Il faut encore adopter des définitions précises des actifs considérés, pour y faire référence par la suite”, nous explique-t-elle. “L’idée est d’appliquer à ce monde financier parallèle les mêmes règles que celles qui sont d’application dans celui de la banque. Soit ‘la règle du voyage’ qui sera appliquée sur les transferts dès le premier euro et qui permettra, dans des circonstances déterminées, de tracer les paiements, afin de lutter contre la fraude, le financement du terrorisme ou le blanchiment. On veut donner aux États membres les moyens de savoir où est l’argent. Pour les investisseurs, il y aura des protections, au-delà de la spéculation. Quand un ménage perd sa maison sur des opérations en cryptos, la perte est bien réelle. Et l’on a vu de tels cas”.

Le secteur est-il potentiellement mis à mal par ce règlement ? “Non, au contraire, pour beaucoup, c’est positif. C’est une question de réputation”, assure encore la députée européenne. “Le texte devrait passer dans la semaine du 17 avril en plénière, sauf problème éventuel. Ensuite, il entrerait en vigueur 18 mois après la publication officielle”, ponctue Assita Kanko.