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Sécheresse : Vigilance, alerte ou crise… Comment les « niveaux de gravité » sont-ils établis ?

C’est officiel, le préfet des Alpes-Maritimes va activer l’« alerte » sécheresse. Un arrêté va être signé en ce sens entre vendredi et dimanche. Il précisera les restrictions liées à ce deuxième « niveau de gravité », sur une échelle qui en compte quatre. A ce stade là, l’interdiction de l’arrosage entre 8 heures et 20 heures ou encore du remplissage des piscines va être décrétée. Le but est de préserver au maximum la ressource en eau, déficitaire.

Au 6 mars, les départements de l’Ain, des Bouches-du-Rhône, des Pyrénées-Orientales et du Var étaient déjà concernés par une « alerte renforcée », un cran au-dessus, avec des limitations encore plus contraignantes. La Savoie et les Yvelines étaient de leur côté en simple « vigilance », juste en dessous. Aucun n’est pour le moment au stade ultime de la « crise », atteint l’an dernier et qui pourrait être rapidement réactivé, les indicateurs étant tous au rouge.

Lundi, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a réuni pour la deuxième fois en huit jours les préfets pour les inciter à prendre des arrêtés « dès maintenant » justement pour reculer au maximum cette échéance. Mais sur quels éléments doivent-ils se baser pour déterminer le niveau de gravité à enclencher ? Au-delà des précipitations enregistrées et attendues, c’est surtout l’état des cours d’eau qui conditionne l’alerte.

La Roya flirte déjà avec la « crise »

« Une grille est établie pour chacun d’entre eux avec les débits en dessous desquels il ne faut pas descendre, explique Pierre Boutot, le chef du service Eau, agriculture, foret et espaces naturels à la Direction départementale des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes (DDTM 06). Ils correspondent aux niveaux qui deviennent dangereux pour la vie aquatique. »

Dans le département, un capteur installé près de l’embouchure du fleuve Var a mesuré un débit de 11,7 m3 par seconde le 3 mars, soit bien en dessous du seuil d’alerte (14 m3/s) et même en dessous de celui de l’alerte renforcée (12 m3/s). La Roya, à quelques kilomètres de là, flirte déjà avec la « crise », mais d’autres cours d’eau restent encore loin de « l’alerte ». Les préfectures doivent donc également faire des arbitrages et des moyennes pour établir les restrictions.

Le fleuve Var était au niveau d'alerte renforcée, le 3 mars 2023
Le fleuve Var était au niveau d’alerte renforcée, le 3 mars 2023 – Préfecture des Alpes-Maritimes

« L’an dernier, nous avions mis certains bassins-versants [les zones irriguées par tel ou tel fleuve ou rivière] à des niveaux d’alerte différents, mais ce n’était pas très lisible. Cette année, nous avons choisi de déterminer un seul stade pour tout le département », précise Pascal Jobert, directeur de la DDTM 06.

Les remontées de terrain

La situation sera régulièrement réévaluée, avec l’instauration de nouveaux zonages, si nécessaire. Pour parfaire leur analyse, les puissances publiques peuvent également s’appuyer sur le remplissage des nappes phréatiques, « même si leur état est très souvent lié à celui des cours d’eau », précise Pierre Boutot. Un réseau de capteurs, des sondes piézométriques, permet d’avoir une vision assez précise de ces ressources, qui alimente pour beaucoup les réseaux en eau potable. « Là-dessus, il n’y a pas de normes ou de grilles, mais ce sont des indicateurs qui nous aident à la prise de décision », indique-t-il encore.

Les données piézométriques permettent d'évaluer le remplissage des nappes phréatiques
Les données piézométriques permettent d’évaluer le remplissage des nappes phréatiques – Préfecture des Alpes-Maritimes

« Nous demandons également aux communes de nous faire part de leurs observations, sur l’état des sources notamment. Ces remontées de terrains sont importantes, poursuit le spécialiste. Elles peuvent d’ailleurs également nous revenir des éleveurs qui se trouvent dans l’arrière-Pays et qui ont accès à des zones où nos dispositifs de mesures sont limités. »

Pluie, neige et prévision(s)

Les arbitrages des préfectures sont aussi et bien sûr conditionnés aux données météorologiques, qui déterminent les indicateurs précédents. Plus les déficits de pluviométrie sont importants et plus les restrictions doivent être draconiennes. Toujours dans les Alpes-Maritimes, « 50 % de déficit ont été enregistrés sur la période de recharge [du 1er septembre à fin mars, quand les nappes phréatiques peuvent se remplir], sauf que cela se cumule à une autre période de sécheresse, déjà l’an dernier », pointe Pascal Jobert.

Une situation généralisée. « Cet hiver est en France la cinquième saison consécutive marquée par un déficit de précipitations et des températures plus élevées que la normale », notait Météo-France dans son bilan de la période allant du 1er décembre au 28 février. Et il est difficile de prévoir, sur le long terme, des épisodes de pluie éventuellement providentiels.

En revanche, dans les régions concernées, les stocks de neige peuvent permettre aux préfectures d’anticiper l’alimentation des cours d’eau en période de fonte. Sauf que, cette année, l’enneigement est très déficitaire sur les Pyrénées et atteint même « un niveau [bas] record » sur les Alpes, selon Météo-France. Dans les Alpes-Maritimes, l’hiver 2022-2023 s’inscrit dans « les 20 % d’années les plus mauvaises » en matière de chute de flocons. Un indicateur de plus qui a conforté le préfet de déclencher l’« alerte ».