France

« Nestlé est une machine à broyer »… Les ouvriers « dépités » par la fermeture de l’usine Buitoni

Écœurés et dépités. C’est sous une tente, à l’abri de la pluie, qu’une soixantaine de salariés de l’usine Buitoni de Caudry, dans le Nord, ont appris, ce jeudi matin, la fermeture définitive du site. L’annonce par un délégué syndical a été brève. « Les dirigeants cherchent un repreneur. Seule certitude : le maintien de salaire jusqu’à la fin de l’année », explique Madjid Bouala, face à une assemblée médusée.

Quelques pleurs, mais surtout, beaucoup de colère. « On a toute notre vie et notre famille ici, qu’est-ce qu’on va devenir ? », s’inquiète Sophie*, trente ans de boîte et la fatigue physique qui va avec. Un peu plus tôt, les dirigeants du géant mondial l’agroalimentaire, Nestlé, propriétaire de Buitoni, avaient été accueillis par des huées et le déversement devant l’usine d’un tas de fumier.

« Voilà treize mois que Nestlé nous baratine »

Depuis le début du mois de mars et la suspension de l’activité, cette décision était attendue. Elle a donc été confirmée, peu avant 10h. Fin d’une attente interminable, avec, en toile de fond, la fumée noire dégagée par des pneus brûlés. Seule chaleur qui se dégageait de cette matinée funeste pour les 113 derniers salariés de la SPAC (Société de production alimentaire de Caudry), nom officiel de l’usine Buitoni.

« Voilà treize mois que Nestlé nous baratine, dénonce Didier*, salarié depuis dix ans. On veut que le groupe prenne sa responsabilité et dise à la France entière que nous, en tant que salariés, nous ne sommes pas responsables de la contamination à la bactérie ». Cette bactérie E. Coli, c’est effectivement le point de départ, il y a un an, des ennuis de cette usine : deux enfants décédés et des dizaines d’autres intoxiqués après avoir mangé des pizzas surgelées soupçonnées d’avoir été fabriquées à Caudry.

Des salariés de l'usine Buitoni de Caudry manifestent après l'annonce par le groupe Nestlé de la fermeture du site.
Des salariés de l’usine Buitoni de Caudry manifestent après l’annonce par le groupe Nestlé de la fermeture du site. – G.Durand

Une enquête a été ouverte pour homicides et blessures involontaires. Mais l’instruction est longue, alors les suspicions vont bon train avec une hypothèse que certains ouvriers évoquent ouvertement. « La séparation qui existait entre les deux lignes de production a été supprimée, explique l’un d’eux. De la farine qui n’était pas adaptée a pu se retrouver sur la mauvaise ligne de production. Mais c’est une décision de la direction. Et aujourd’hui, c’est nous qui la payons. »

« On n’est pas responsables »

Le maire de Caudry, Frédéric Bricout n’hésite pas, lui non plus, à mettre en cause « la décision stratégique de Nestlé d’abandonner la farine thermique qui tue certains germes avec de la farine classique ». « Ils ont pris un risque important en faisant ça », souligne l’élu. « S’ils ont changé des choses qui ont facilité la contamination, ce sont eux [Nestlé]. On n’est pas responsables », renchérit, pour sa part, Stéphane Derammelaere, délégué Force ouvrière, à la sortie de la réunion.

A l'i=usine Buitoni de Caudry, dans le Nord,, des salariés se sont réunis au petit matin pour recouvrir les grilles de l'usine de croix noires avec leur nom, date d'embauche et celle du 30 mars 2023 comme fin symbolique.
A l’i=usine Buitoni de Caudry, dans le Nord,, des salariés se sont réunis au petit matin pour recouvrir les grilles de l’usine de croix noires avec leur nom, date d’embauche et celle du 30 mars 2023 comme fin symbolique. – G. Durand

Aujourd’hui, Nestlé justifie la fermeture du site par la chute des ventes de ses pizzas surgelées. Une double peine pour les salariés qui, depuis plusieurs mois, subissent la colère de l’opinion publique. « On nous a demandé de nous taire sur le sujet, note Alain*. On a même dû supporter des reportages mettant en cause l’hygiène de l’usine, alors que l’entreprise aurait pu facilement démentir tout ça. » Lui aussi a l’impression que le scénario était, de toute façon, écrit d’avance.

« Depuis l’arrivée de Nestlé, la gestion du personnel a changé », témoigne Nathalie*. Après 35 ans dans l’entreprise, elle a appris son congé de fin de carrière (CFC) par SMS, début janvier. « Au regard des compteurs qu’il vous reste à prendre, vous finissez demain à la fin de votre poste », lui a écrit la directrice des Ressources humaines. « Partir comme ça, c’est terrible ! », déplore-t-elle. Une quarantaine de salariés ont ainsi été remerciés par un CFC.

« C’est un énorme gâchis »

A 51 ans, Valérie sera tout simplement licenciée économique. « Après nous avoir dit qu’on était des machines à produire, on découvre que Nestlé est une machine à broyer », soupire-t-elle. « Cette entreprise fonctionnait comme une famille avec des ouvriers soudés et ça ne plaisait pas à nos dirigeants. C’est un énorme gâchis », insiste-t-elle.

A cinquante kilomètres de là, le fabriquant français de pâtes boulangères Cérélia, un des principaux acteurs du secteur en Europe, a inauguré, il y a quelques semaines, un nouveau site à Saint-Laurent-Blangy, près d’Arras, dans le Pas-de-Calais. Il s’agit, selon le groupe, de « la plus grande usine européenne de pâtes à pizzas et à tartes ». Elle doit permettre la création de 185 emplois.