France

Mariage pour tous : Comment la plus grande visibilité des familles homoparentales a fait évoluer les mentalités

Des couples homosexuels à la télé, en Une des magazines, sur les réseaux sociaux ou encore dans les fictions… Dix ans après l’adoption du « Mariage pour tous », l’union entre personnes de même sexe semble être rentrée dans les mœurs. En montrant des exemples concrets de couples épanouis, les médias ont en effet contribué à normaliser cette réalité et à la rendre plus visible dans la société.

« Ce qu’on voit depuis quelques années, c’est un positionnement politique des couples de même sexe qui s’expriment dans la sphère publique, qui a radicalement changé par rapport aux décennies précédentes. Ces personnes revendiquent le droit à vivre la vie de tout le monde, et à bénéficier à ce titre des mêmes droits. Avec cette idée de montrer qu’elles ne sont pas différentes des autres », explique Jérôme Courduriès, anthropologue et professeur à l’université Jean-Jaurès à Toulouse, auteur de Homoparentalités. La famille en question ?, aux éditions François Bourin.

« Plus on visibilise les familles homoparentales, plus on les banalise dans la société »

De nombreux couples ont ainsi décidé ces dernières années de rendre publique leur relation dans les médias ou sur les réseaux sociaux, « dans une dynamique qui consiste à finalement banaliser les couples homos », précise l’anthropologue. Lorsque l’animateur Christophe Beaugrand choisit de dévoiler son union dans la presse en 2018, les photos d’un couple gay à la Une d’un journal étaient une chose très rare. « C’était la première fois qu’un couple homosexuel « connu » publiait des photos dans la presse. J’avais envie de partager ces images « normales » dans un magazine [Gala] lu par un public très large. Un magazine qui traîne dans les salons de coiffure, dans la salle d’attente du docteur… », explique l’animateur, auteur de Fils à papa(s), paru aux éditions Plon, dans 21h Médias sur TMC.

« Je me rends bien compte aujourd’hui que ça a contribué à faire avancer les mentalités. À l’époque, on m’a posé beaucoup de questions. Certains m’ont demandé pourquoi j’avais besoin de m’exhiber. Jamais on aurait posé la question à un animateur hétéro qui aurait présenté son épouse dans la presse. Et ça arrive pourtant très régulièrement », précise le présentateur de l’émission Ninja Warrior sur TF1, aujourd’hui papa, avec son époux Ghislain, d’un petit Valentin.

D’autres couples ont depuis franchi le pas, à l’image de Laurent Ruquier, qui en février dernier, a lui aussi posé en Une du magazine Gala avec son compagnon Hugo Manos. Jusqu’alors plutôt pudique sur sa vie privée, l’animateur des Grosses Têtes a également choisi d’exposer sa relation au grand jour. « L’époque a changé. Et moi aussi : je suis moins dans la retenue qu’il y a une dizaine d’années. […] C’est bien aussi de montrer, comme l’ont fait Marc­-Olivier Fogiel et Stéphane Bern avec leurs compagnons, une homosexualité heureuse, et fière. Sans être dans une démarche militante, ce qui n’a jamais été mon cas », explique l’animateur à Gala.

Cette volonté de s’exprimer dans la sphère publique, d’être tout simplement visible, « c’est aussi quelque chose qui s’est fait en réaction à tout ce qui a été entendu et lu lors des mobilisations en 2013 contre le Mariage pour tous, par la Manif pour tous », précise Jérôme Courduriès. « À ce moment-là, on entendait des discours qui consistaient à stigmatiser l’homosexualité et les familles homoparentales, qui n’étaient définies qu’à travers le champ de la perversion. Le contexte politique des années 2010 est primordial pour comprendre cette évolution aujourd’hui ».

Des expériences de vie partagées sur les réseaux sociaux

Au-delà des simples unions, c’est aussi la médiatisation d’expériences de vie de couples homosexuels avec des enfants qui a fait évoluer l’opinion. Les réseaux sociaux ont ainsi joué un rôle important en permettant aux familles homoparentales de partager leurs histoires. Stéphanie, qui tient avec son épouse Marie-Charlotte le compte Twitter « Demande à tes mères », a constaté une évolution depuis quelques années. « Certains, au départ réfractaires, se sont rendu compte qu’on était finalement comme les autres. En racontant au quotidien notre vie, nos joies, nos déceptions, etc. à travers des photos, des anecdotes, on a réussi à convaincre une frange de la population qui s’était fait une opinion sur de banals préjugés. Ou qui tout simplement avaient peur de ce qui est différent d’eux », explique la maman d’Alix et Samuel, qui attend un heureux événement.

Les messages qu’elle reçoit aujourd’hui sont bien plus bienveillants. « Les gens s’attachent aujourd’hui plus facilement à nous, et on le voit à travers certains témoignages qu’on aurait jamais imaginé recevoir. Certains nous disent :  »J’aime beaucoup votre petite famille. Je comprends maintenant que j’avais tort ». Montrer les petites choses du quotidien, tout en douceur, c’est parfois plus convaincant que de matraquer un message », note ainsi Stéphanie, dont le compte, qu’elle a créé en 2017, est suivi par près de 23.000 abonnés.

La réprobation initiale s’est donc souvent changée en approbation au contact de familles homosexuelles. « On pourrait dire que ce sont simplement des préjugés qui sont tombés au contact des personnes réelles, analyse Jérôme Courduriès. Leurs témoignages, notamment celui des enfants devenus adultes, ont contribué à montrer aux gens qu’il n’y a pas de problème majeur, que ces enfants sont globalement heureux. C’est le résultat de toutes les enquêtes qui sont faites depuis une vingtaine d’années dans le monde entier. »

« Des représentations différentes de l’homosexualité »

En mettant enfin un coup de projecteur sur les couples de même sexe, et les familles homoparentales, la société a pris conscience qu’il existait une diversité des modèles conjugaux et familiaux. « Aujourd’hui, il y a de nombreux modèles, des représentations différentes de l’homosexualité, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années encore. Dans les années 2000, on ne savait pas ce qu’était un couple gay, encore moins une famille homoparentale, on avait juste quelques représentations très stéréotypées. Ce qui a changé, c’est que désormais il y a des récits disponibles qui permettent de donner des clés de compréhension, et d’acceptation », explique Jérôme Courduriès.

A l’image de Sonia et Luna, deux jeunes femmes d’une vingtaine d’années qui racontent leur relation amoureuse sur un compte TikTok (@soka.luna) suivi par plus de 100.000 abonnés, les nombreux récits de couples de tous âges et de tous horizons ont permis de faire bouger les mentalités ces dernières années. « C’est important pour faire évoluer l’opinion publique, mais c’est surtout essentiel pour rassurer les plus jeunes, ceux qui découvrent leur homosexualité et qui ont besoin d’avoir des repères, des références », ajoute Stéphanie, qui rappelle que l’homophobie est encore très présente dans notre société. Car si les lignes ont un peu bougé ces dernières années, les préjugés et les discriminations persistent. D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, les actes homophobes (crimes, délits et contraventions anti-LGBT) ont même plus que doublé depuis 2016.