France

LSD, ecstasy, champignons hallucinogènes… Des traitements efficaces pour soigner certains troubles psychiques ?

LSD, ecstasy, champignons hallucinogènes… Pour vous, il s’agit sûrement de drogues. Mais pour certaines personnes souffrant de troubles psychiques, il s’agit d’un traitement. Prisées dès les années 1960 par des communautés hippies, les substances psychédéliques s’introduisent désormais dans les hôpitaux. Les thérapies qui en découlent sont aujourd’hui légales en Suisse, au Canada, en Australie ou encore dans l’État américain de l’Oregon. Bien que classées comme des drogues depuis 1971 par la convention sur les substances psychotropes de l’ONU, ces produits permettraient de soigner de nombreux troubles psychiques comme la dépression, l’anxiété, les addictions ou le stress post-traumatique. C’est en tout cas ce que laissent entrevoir plusieurs études réalisées à travers le monde.

Ce type de thérapie, testée dès les années 1970, consiste à prendre une dose de substance psychotrope – en l’occurrence du LSD, de l’ecstasy ou de la psilocybine, le principe actif de certains champignons hallucinogènes – sous le contrôle d’un médecin, à l’hôpital. Et contrairement à un traitement antidépresseur devant être pris quotidiennement sur plusieurs mois, une seule dose de substance hallucinogène suffirait à améliorer considérablement et durablement les symptômes de la personne présentant un trouble psychique.

Une seule dose ayant des effets durables

Lucie Berkovitch, psychiatre et chercheuse en neurosciences, a, avec son collègue Bruno Roméo, analysé les résultats de 25 études sur le sujet publiées entre 1990 et 2020. « Les résultats scientifiques sont extrêmement prometteurs », se réjouit la chercheuse. Tout d’abord, quand cela fonctionne, les effets sont immédiats. Contrairement aux antidépresseurs, dont l’efficacité intervient au bout de plusieurs semaines, les patients se sentent « tout de suite mieux » après avoir ingéré la substance psychédélique. « C’est un réel gain de temps pour les patients ». Les effets seraient également durables.

Depuis 2020, de nombreuses études viennent attester l’efficacité de ces thérapies. La plus vaste a été réalisée en 2022 sur 230 personnes. Publiée dans le New England Journal of Medecine, elle tend à montrer l’efficacité de la psilocybine dans le traitement de la dépression résistante. Parmi les trois groupes ayant reçu respectivement 1 mg, 10 mg et 25 mg de psilocybine, ceux ayant reçu la plus haute dose, celle considérée comme utilisée à des fins récréatives, ont été plus nombreux à ressentir durablement une forte amélioration des symptômes.

Une autre étude, publiée en 2021 dans la même revue, compare les effets de la psilocybine avec ceux d’un antidépresseur couramment utilisé, l’escitalopram. Les patients recevant la substance psychédélique se voient donner un placebo le reste du temps. « Aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes », explique la psychiatre. Une amélioration globale a pu être constatée dans les deux cas. « Ce résultat est quand même très intéressant, car cela veut dire qu’avec une seule prise de psilocybine, on fait aussi bien qu’avec plusieurs semaines d’antidépresseurs. »

De nouvelles connexions entre les neurones

« Les résultats thérapeutiques semblent positifs, mais on en est encore au tout début », tient à nuancer Zoé Dubus, historienne de la médecine et autrice d’une thèse sur l’utilisation de psychotropes en médecine, du XIXe siècle à nos jours en France. « Ces études ne sont pas encore assez nombreuses et surtout, elles n’ont été réalisées que sur de petits panels de patients ». Autre problème selon elle : « sur certaines études, on voit qu’au bout de six mois ou un an, les effets dépressifs remontent. Il faudrait donc peut-être une seconde séance pour les éliminer totalement. » Et pour cause, ces essais sont réalisés uniquement sur des patients résistants aux autres formes de traitements. Difficile donc de supprimer totalement en une seule prise les symptômes dépressifs présents parfois depuis des dizaines d’années.

Comment expliquer que ces substances allègent la souffrance psychologique de nombreuses personnes ? « Ces molécules améliorent la neuroplasticité cérébrale », explique le docteur suisse en psychologie Federico Seragnoli, qui réalise des thérapies assistées par psychédéliques. « Elles permettent au cerveau de créer de nouvelles connexions entre les différents neurones. » Grâce à elles, les personnes seraient de nouveau capables de prendre certaines décisions et de voir positivement plusieurs aspects de leur vie. Les psychédéliques permettent aussi de jouer sur la sérotonine, ce neurotransmetteur impliqué notamment dans la régulation de l’humeur et de l’anxiété. La plupart des antidépresseurs font en sorte que la sérotonine déjà présente dans le cerveau y reste plus longtemps. « Les psychédéliques, eux, simulent en quelque sorte l’action de la sérotonine. C’est un peu comme si on en rajoutait dans le cerveau », simplifie Federico Seragnoli.

Mais l’explication n’est pas seulement neuronale. Elle est aussi psychologique. Car la thérapie assistée sous psychédéliques est, comme son nom l’indique, avant tout une thérapie, qui se passe en trois séances. La première pour interroger le patient – et potentiellement l’exclure de la thérapie. La seconde pour prendre la substance de manière supervisée. Et la dernière séance, celle dite « d’intégration », pour travailler sur le matériel psychique qui a émergé lors de l’expérience psychédélique. « La substance permet d’amplifier l’efficacité de la psychothérapie, résume Federico Seragnoli. Elle crée un état de conscience modifié, qui n’est pas atteignable sans substance. »

Des substances ni toxiques, ni addictives

Cette expérience peut-elle être mal vécue ? « La croyance selon laquelle on va rester perché ne correspond pas à ce qui est observé lorsque la substance est prise dans un cadre thérapeutique », selon la psychiatre. « Si on prend une dose vraiment forte, on peut perdre complètement la notion de la réalité ou avoir la sensation d’être en train de mourir, admet Federico Seragnoli. Mais avec les doses que nous donnons, ça ne peut pas vraiment arriver. » Pour diminuer ce risque, le médecin interroge préalablement le patient sur ses éventuelles prédispositions à certains troubles psychotiques, comme la schizophrénie. « Les personnes sont préparées avant et supervisées pendant, rappelle le psychologue suisse. Si elles se sentent mal après la prise, elles peuvent faire appel à un soignant. »

Le risque de devenir accro à ces substances est négligeable, selon les professionnels interrogés. « Ces molécules n’ont pas du tout le même potentiel addictif que d’autres substances », explique la psychiatre. Les produits psychédéliques ne sont, selon eux, pas non plus toxiques pour l’organisme. Quelques maux de tête, nausées voire vomissements ont pu être recensés. Mais aucun effet secondaire grave nécessitant le recours à un médicament n’a été constaté.

Si la France a pris du retard sur ce type de thérapie, des tests cliniques devraient bientôt y voir le jour. Lucie Berkovitch supervisera prochainement plusieurs d’entre eux à l’hôpital Sainte-Anne. En attendant, Zoé Dubus regrette qu’« à la suite de l’emballement médiatique autour de ces thérapies, certains patients se trouvant dans une impasse thérapeutique se tournent vers des thérapeutes underground pour avoir accès à ces thérapies de manière illégale. » Encore un peu de patience, donc.