France

La petite acrobatie d’Éric Dupond-Moretti pour gonfler le budget de la justice

Éric Dupond-Moretti répète le chiffre en boucle dans les médias pour défendre le projet de loi de programmation et d’orientation de la justice, présenté le 3 mai en Conseil des ministres. « D’ici à 2027, nous allons réaliser 7,5 milliards d’euros d’investissement supplémentaire » dans la justice, une hausse « historique », appuie-t-il auprès de 20 Minutes aussi.

Depuis janvier et la présentation du plan justice, ce chiffre est un des éléments mis en avant pour montrer l’augmentation des moyens alloués à la justice « après trente ans d’abandon politique », pointe le garde des Sceaux. Au Monde, il indiquait alors « qu’en cumulé, cela représentera une augmentation de 7,5 milliards sur ce quinquennat ». Ce petit “en cumulé” a toute son importance, bien qu’il ait disparu des interventions du ministre entretemps.

Une hausse des crédits de 1,8 milliard d’euros

Si l’on se penche sur le projet de loi de réforme de la justice, on peut observer l’augmentation des crédits de paiement, prévue dans l’article 1er, pour le budget justice entre 2022 et 2027. En 2022 selon ce document, les crédits alloués étaient à 8,8 milliards d’euros pour la mission justice hors pensions (programmes justice judiciaire, administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, accès au droit et à la justice, conduite et pilotage de la politique de la justice et conseil supérieur de la magistrature). En 2023, la hausse des crédits prévue est de 717 millions d’euros par rapport à 2022, en 2024, elle doit atteindre 502 millions d’euros par rapport à 2023, etc. D’où une hausse de 1,886 milliard en valeur absolue en 2027.

Capture d'écran du tableau présentant l'augmentation des crédits de paiements entre 2022 et 2027 dans le projet de loi.
Capture d’écran du tableau présentant l’augmentation des crédits de paiements entre 2022 et 2027 dans le projet de loi. – Capture d’écran/ministère de la justice

Où sont donc les 7,5 milliards d’euros d’investissement supplémentaire ? Contacté, le cabinet du garde des Sceaux nous a expliqué le calcul effectué. Restez concentré et rappelez-vous du “en cumulé”. Pour obtenir les 7,5 milliards d’euros, il faut faire une petite gymnastique et ajouter le surplus enregistré chaque année, en gardant comme année de base 2022 : par exemple, 717+502, cela donne une hausse d’1,2 milliard en 2024. Poursuivons : pour le budget 2025, sont comptées les hausses 2023, 2024, 2025, de telle sorte qu’on ajoute 717 millions à 1,219 milliard à 1,819 milliard, soit “en cumulé”, un investissement de 3,755 milliards d’euros. En valeur absolue, l’augmentation prévue est d’1,819 milliard d’euros.

Dernier exercice de maths pour que tout soit bien compris : les investissements en 2027 en cumulé représentent donc : 700 millions + 1,219 milliard + 1,819 milliard + 1,829 milliard + 1,886 milliard, soit 7,470 milliards d’euros. Voilà comment, dans la bouche du ministre, une hausse de budget d’1,886 milliard entre 2022 et 2027 se transforme « en cumulé » en investissement supplémentaire atteignant près de 7,5 milliards d’euros sur le quinquennat.

Cela permet aussi de comparer ce chiffre avec les investissements réalisés pendant les quinquennats Hollande et Sarkozy, où ils atteignent en cumulé respectivement 2,1 et 2 milliards d’euros, défend le cabinet du ministre. Mais il est aussi possible de comparer l’augmentation des budgets en valeur absolue : d’après les éléments fournis par le cabinet, la hausse du budget de la justice sous le quinquennat de Sarkozy atteint environ 800 millions d’euros et elle est d’environ 825 millions d’euros pendant le mandat d’Hollande.

« C’est de la communication pure »

Présenter les chiffres en cumulé a-t-il un intérêt sur le plan budgétaire ? « Strictement aucun, nous assure Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques et cofondateur des Économistes atterrés. C’est de la communication pure. » Il suggère avec ironie de cumuler les chiffres sur dix ou vingt ans.

« Cela permet de faire apparaître un montant plus élevé, complète Gilbert Orsini, professeur émérite de droit public à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste des questions de finances publiques. C’est d’abord un effet de communication, car cela n’a pas, en soi, un effet budgétaire. » S’il y a bien « une augmentation significative » du budget de la justice, cette dernière est sur le quinquennat d’1,8 milliard d’euros.

Henri Sterdyniak ajoute que « les mauvais esprits remarqueront que la hausse du budget entre 2022 et 2027 est de 21,3 %, mais l’inflation prévue dans le programme de stabilité 2023-2027 est de 13,75 % sur la période. Donc, en euros constants, la hausse est de 587 millions d’euros », calcule-t-il, ce qui représente 6,2 % du budget en cinq ans. « Dire que la hausse est de 7,5 milliards est plus glorieux que de dire qu’elle est de 0,587 milliard en euros constants », conclut l’économiste.