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JO Paris 2024 : « Je ne peux pas rêver d’un plus bel objectif »… A 35 ans, Dimitri Bascou repart pour un tour

Les Jeux olympiques de Paris peuvent pousser les athlètes à toutes les folies. Prenez Dimitri Bascou, par exemple. Après sa non-qualification pour les JO de Tokyo, le spécialiste du 110m haies avait décidé de s’éloigner de la piste, sans avoir non plus annoncé officiellement la fin de sa carrière. Puis il a rechaussé les pointes, presque par hasard, et s’est aperçu qu’il en avait encore sous le pied. A 35 ans, voilà le champion d’Europe et médaillé de bronze aux JO de Rio en 2016 reparti à l’entraînement, avec en point de mire une dernière danse en 2024 devant le public français.

Le pari peut sembler déraisonnable, mais après avoir entendu l’intéressé, on a très envie d’y croire avec lui. Après 15 années au haut niveau, le Martiniquais se connaît par cœur et a mis en place une structure qui lui convient. Il nous a expliqué tout ça lorsque nous l’avons reçu dans notre émission Twitch, « Les croisés tu connais », jeudi 12 janvier.

Quel a été votre cheminement de la déception des JO de Tokyo à votre décision de revenir pour viser Paris 2024 ?

Tokyo, pour moi comme la plupart des athlètes de ma génération, c’était le sommet, avec normalement derrière les championnats d’Europe à Paris pour finir notre carrière en beauté. Sauf qu’il y a eu le Covid [JO reportés d’un an, championnats d’Europe annulés]. Personnellement j’ai connu une période un peu compliquée après ça, je n’ai pas mis les pieds sur une piste pendant huit mois. Et puis un jour on m’a demandé de dépanner à des interclubs [en 2022], je me suis rendu compte que ça allait, les jambes tournaient bien, très bien même. Je me suis rappelé que mon objectif initial était de terminer à la maison, devant le public français, alors j’ai décidé de continuer à appuyer pendant deux ans pour aller aux JO de Paris.

Ça n’a pas été trop dur de s’y remettre après un arrêt si long ?

Au final, j’ai l’impression que ça m’a fait du bien. On enchaîne tellement, le corps a besoin de souffler un peu, de se régénérer. J’avais besoin de ça je pense, car quand je suis revenu j’ai retrouvé des sensations qui m’avaient quitté il y a des années. Et puis le Covid avait été dur à gérer pour les athlètes, on se demandait de quoi demain serait fait, si on ne s’entraînait pas pour rien. Courir dans des stades vides, ou à deux dans une course, je l’ai expérimenté. Et c’est déprimant. J’ai besoin de quelque chose qui claque. Plus l’objectif envoie, plus je vais avoir de la motivation et une force qui va sortir. Et là, les JO à Paris, je ne peux pas rêver d’un plus bel objectif.

Comment ça va se passer pour les qualifications ?

Les minimas sont de 13’’27 [son record personnel est de 13 »12, établi en 2016]. A la différence des autres championnats, ils peuvent être faits plus d’un an à l’avance. Là en l’occurrence, à partir du 1er juillet 2023. Il faudra aller chercher ces minimas dès cette année, mais aussi confirmer l’année prochaine, aux championnats de France. C’est le rendez-vous habituel, pour confirmer sa forme et montrer qu’on sera présent le jour-J. Les minimas ne sont pas une garantie. Il n’y a que trois places par pays.

Et la concurrence est rude en France, avec Pascal Martinot-Lagarde, Sasha Zhoya, Aurel Manga ou Wilhem Belocian…

Oui, depuis Guy Drut, on a une grosse compétence technique sur la discipline, qui se transmet de génération en génération. Aujourd’hui, c’est sans doute la discipline la plus dense de l’athlétisme français, chez les hommes en tout cas. Mais c’est une bonne chose à l’aube des JO. Moi ça m’a toujours boosté, ça me permet de trouver la force pour les sacrifices que je fais tous les jours, dans l’hygiène de vie, le sommeil, etc. Derrière ça pousse, il faut être au taquet. Une fois qu’on sera tous derrière la ligne, c’est la somme de tout ce qu’on aura fait avant qui va parler.

Vous vous entraînez avec eux ou tout seul ?

J’ai mis en place ma propre structure d’entraînement. Je suis entraîneur aussi, et depuis 2018, je fais mes préparations physiques seuls. Je travaillais juste avec une athlète, pour ce qu’on appelle la méthode miroir. Je coache pour me coacher, en quelque sorte. J’avais pris cet exemple de deux athlètes américains qui s’entraînaient comme ça. Ça m’a permis de m’enrichir sur les entraînements, les choses à améliorer, à appliquer, le tempérament à avoir pour ce système car c’est totalement différent que de se faire entraîner par un coach. Mais il me manquait quelque chose, un œil extérieur, du coup cette année j’ai pris la décision de créer un petit groupe avec des athlètes de ma génération, qui sont eux-mêmes entraîneurs, pour qu’on s’entre-aide et se tire vers le haut. Je m’entraîne donc dans mon club de Noisy-le-Grand, dans ce moule que j’ai moi-même mis en place, et qui a très bien démarré.

Pourquoi ne pas avoir fait appel à un entraîneur ?

Je me suis intéressé au coaching très jeune. A 19 ans, je savais déjà faire un plan de préparation athlétique. Alors j’ai préféré faire avec mon bagage personnel. Je sais comment gérer, quand pousser vraiment l’entraînement, où m’arrêter. Même à 28 ans je n’aurais pas fait ce choix, c’était encore trop tôt. Là à 35 ans, je suis prêt. C’est un choix compliqué à faire car il faut être sûr de ses acquis, connaître son corps par cœur. Cela demande énormément d’implication, à tel point que ça ne peut qu’être que limiter dans le temps. Les JO de Paris c’est demain, donc je sais que c’est tenable d’ici là.

Financièrement, vous recevez des aides de la Fédération ?

La Fédé a eu pas mal de difficulté à gérer cette période de changement générationnel, beaucoup de jeunes arrivent mais des anciens sont encore là et potentiellement médaillables pour Paris 2024. Elle a choisi un petit groupe d’athlètes, moi pour l’instant je supporte ma préparation moi-même. Mais je pense que ça va bouger en fonction des résultats. Je n’en veux pas aux dirigeants, d’autant qu’ils ont dû faire avec une baisse du budget. Là j’attends de voir ce qu’ils vont faire dans les mois à venir pour améliorer la situation.

Et au niveau des partenaires privés ?

Non, je suis reparti tout seul. Mais j’ai confiance en ce que j’ai mis en place. Je n’ai jamais été à 100 % sérieux dans ma carrière – ça c’est mon problème (rires) –, là j’ai envie de voir ce que je peux réaliser si je le suis. Pour l’instant, j’ai juste fait une première compétition à la Réunion en décembre. J’étais venu pour m’amuser, courir dans de bonnes conditions, et j’ai fait la meilleure rentrée de ma carrière en 7’’77 (en salle). Donc les curseurs sont déjà assez hauts. Je ne me prends pas la tête sur le manque de partenaires, tout ça. Je sais que c’est dur de s’engager avec quelqu’un qui est plutôt en fin de carrière. Ils ont besoin de savoir de quoi je suis capable avant de faire le premier pas.

Tous les spécialistes des haies disent que passé un certain âge, le corps souffre vraiment beaucoup. Vous le sentez capable de vous porter jusqu’à Paris le vôtre, à 35 ans ?

J’ai appris, depuis que je m’entraîne seul, à écouter davantage mon corps. C’est vrai, passé un certain âge sur les haies, la contrainte articulaire est tellement forte que ça demande une implication folle pour garder son intégrité physique. Une des solutions est de remplacer une partie du volume d’entraînement par la visualisation. J’ai toujours mis ça en avant, ça permet de réduire un peu les séances. C’est valable dans tous les sports, ceux de combat notamment. Moi je travaille beaucoup de choses dans ma tête, c’est vraiment un outil qui me permet de garder de l’énergie pour les compétitions. Je ne peux plus faire le volume que je faisais en début de carrière. Mon objectif est de faire ce qu’on a rarement vu, à savoir aller chercher le meilleur niveau de sa carrière sur la fin, à 35 ans passés. Je donne tout ce que je peux donner pour y arriver.