France

Grand Paris Express : Pourquoi les déblais des chantiers sont magiques

Inutile de rappeler aux Franciliens en quoi consiste le, ou plutôt les chantiers, du Grand Paris Express, puisqu’ils ont le nez dedans depuis dix ans et qu’ils n’en verront pas le bout avant 2030. Des petits, moyens et grands trous qui, nous l’avons appris ce mercredi, généreront désormais plus de 50 millions de tonnes de déblais, de quoi recouvrir entièrement la surface du 16e arrondissement. Mais ce n’est pas le projet de la Société du Grand Paris (SGP) pour se débarrasser de ses déchets. En collaboration avec l’Institut Mines Telecom (IMT) de Douai, dans le Nord, et du spécialiste de l’économie circulaire, Neo-Eco, la SGP a eu l’idée de transformer une partie des déblais en ciment « bas carbone ». Et ça marche. Explications.

Du béton, il en faudra beaucoup pour achever l’ensemble des chantiers du Grand Paris Express. Vraiment beaucoup. Fin 2021, ce ne sont pas moins de 3 millions de m3 qui avaient déjà été coulés, auxquels il faudra ajouter au minimum 3 ou 4 autres millions de m3 d’ici à la fin du chantier. « Les 4,4 millions de tonnes de CO2 qui seront générées par le projet sont en très grande partie dues à l’utilisation du béton et de l’acier », explique John Tanguy, directeur exécutif chargé de l’environnement à la SGP. Pour atténuer sa facture carbone, le maître d’ouvrage a financé une expérimentation de l’IMT visant « à remplacer en partie le ciment classique utilisé dans la fabrication du béton par des déblais de chantier », poursuit-il.

Jusqu’à 80 % de CO2 en moins qu’un ciment standard

Ce projet s’appelle « flash calcination ». Parmi les déblais valorisables excavés, les ingénieurs de l’IMT se sont arrêtés sur l’argile meulière, matière que l’on trouve en grande quantité dans le sous-sol parisien. « Pour le seul creusement de la ligne 18, on estime à 300.000 tonnes la quantité d’argile meulière que l’on va récupérer », avance John Tanguy. La suite est assez simple : « Les déblais d’argile meulière sont broyés à l’échelle du micron puis cuits dans un four, explique Mouamadou Amar, ingénieur à l’IMT. C’est cette étape de calcination qui permet d’économiser jusqu’à 80 % d’émissions de CO2 par rapport au ciment standard CEMI », ajoute-t-il. Parce que le procédé « flash calcination » ne nécessite qu’un passage au four de quelques secondes à 750 degrés quand la cuisson du ciment classique dure plus d’une heure à 1.450 degrés.

Le produit obtenu est un liant aux mêmes caractéristiques que le ciment qui a su passer les innombrables tests, notamment de solidité, effectués au sein du laboratoire de l’IMT. « On obtient aussi une innocuité environnementale du ciment flash, il n’y a aucun rejet nocif dans les fumées de calcination, son usage est de 18 à 38 % moins émissif en CO2 qu’un béton standard et le gain économique varie entre 1 et 7 € par m3 de béton », insiste Romain Genna, chef du projet « flash calcination » chez Neo-Eco.

Sur le papier, l’affaire à plutôt l’air rondement menée. Mais il y a un « mais », voire deux. Les normes de construction d’abord, qui n’autorisent l’utilisation de tels substituts au ciment qu’à hauteur de 5 % du mélange pour fabriquer du béton. « On pourrait aller bien au-delà, mais les évolutions normatives sont trop lentes », déplore Mouamadou Amar. L’autre souci, c’est qu’il faut réussir à convaincre un industriel du ciment de se lancer dans l’aventure. « Les résultats de l’expérimentation ont été mis librement à la disposition des industriels, la suite dépend de leur bonne volonté. Mais avec les nouvelles normes à venir, ils vont devoir y aller », espère Réda Belmajoub, en charge des innovations à la SGP. Pas sûr que le Grand Paris Express puisse s’appliquer à lui-même son innovation et recycler en ciment ses propres déblais. « On est optimistes, il reste du temps d’ici à 2030, affirme John Tanguy. Et puis il y a d’autres grands projets à venir, notamment les RER métropolitains ».