France

Eurovision 2023 : « Notre chanson stupide est une réponse à la bêtise humaine », prévient le groupe punk croate Let 3

De notre envoyé spécial à Liverpool (Royaume-Uni)

Six hurluberlus au maquillage outrancier et fringués en officiers militaires azimutés… Le groupe croate Let 3 (prononcez « let tri ») ne passera pas inaperçu, ce mardi soir, lors de la première demi-finale de l’Eurovision, diffusée en direct dès 21 heures sur Culturebox (canal 24). Parions que de nombreux médias français se jetteront avec gourmandise sur leur performance pour conforter leurs préjugés sur la dimension kitsch du concours et les prestations « gag ».

« A première vue, on a peut-être l’air de rigolos, mais nous ne sommes pas nouveaux dans le business. On a toujours fait ça. On ne plaisante pas. On est sérieux comme le cancer, nous glisse le chanteur Zoran Prodanovic, alias Prlja, 58 ans. Notre chanson est un peu stupide mais elle est notre réponse à la bêtise humaine. »

« Le too much n’est jamais assez »

Dans le texte de Mama šč – ces deux lettres se prononcent « chteu » –, il est question d’une mère qui achète un tracteur, d’armageddon, d’un crocodile, d’un psychopathe… Sur scène, les Croates, tremblent aussi devant deux obus factices à la Docteur Folamour et finissent en slip kangourou… « Le too much n’est jamais assez, poursuit le leadeur du groupe. Peu importent les choses folles que l’on peut faire, elles seront toujours en deçà de la folie du monde dans lequel on vit. »

La chanson peut-être officieusement interprétée comme une satire sur Vladimir Poutine et d’une planète au bord de l’implosion…  « Nous sommes à Liverpool pour dire que nous sommes opposés à toutes les discriminations qu’elles concernent les origines, l’orientation sexuelle, les religions…, énumère Prlja. Dans notre carrière, on a toujours cherché à réagir aux choses qui nous entouraient. »

Let 3 a vu le jour en 1986, à Rijeka, une ville côtière au sud de l’actuelle Croatie. « Elle était l’épicentre de l’explosion punk et new wave lors des dernières années de la Yougoslavie en tant que pays. On pensait que le meilleur était à venir, et puis après, il y a eu cette putain de guerre et toutes les horreurs que le conflit a créé », déplore l’artiste.

Avec un premier album sorti en 1989, Two Dogs Fuckin’ (« Deux chiens qui baisent », un titre battu niveau trivialité par, Angela Merkel sere, « Angela Merkel chie » en 2016), culte en Croatie, le groupe, a construit sa notoriété à l’échelle nationale et dans les Balkans. Ancré dans la contre-culture, féru d’une imagerie outrancière, frôlant parfois la pornographie, il s’est régulièrement distingué par des happenings.

« On a toujours pensé nos actions pour susciter des réactions »

Ainsi, en 2000, à Lubljana (Slovénie), alors que les présidents américain et russe, Georges W Bush et Vladimir Poutine se rencontraient, Let 3 a inauguré une statue de 4 mètres, représentante une grand-mère dotée d’un gigantesque pénis en guise de « don fraternel aux peuples des Etats-Unis et de Russie ». La même année, les membres du groupe ont mis en scène leur propre exécution en place publique à Zagreb (Croatie) face à des personnes déguisées en mamies moustachues. En 2009, dans un manifeste lu à Lubljana, ils ont demandé « l’abolition » de l’Eglise catholique de Slovénie « ou, au moins, de faire passer de douze à six le nombre d’apôtres dans la liturgie catholique ».

« On a toujours pensé nos actions pour susciter des réactions », résume Prlja. La participation de Let 3 à l’Eurovision lui offre une nouvelle caisse de résonance. Depuis la première participation de la Croatie au concours en 1993, jamais des artistes représentant le pays n’avaient autant attiré l’attention avant même le début de la compétition. Lorsqu’on le fait remarquer au chanteur, sa fausse moustache se soulève : « Je pense que ça veut dire qu’on a réussi notre mission. »