France

Conflit au Soudan : L’évacuation des civils, une opération délicate et risquée

Quelque 209 Français sont désormais en sécurité. Evacués du Soudan par les autorités tricolores, ces ressortissants ont pu être pris en charge dans la délicate opération baptisée « Sagittaire » qui a commencé ce week-end alors que les combats dans le pays ont déjà fait plus de 400 morts et que « les cadavres jonchent les rues », selon le syndicat des médecins cité par l’AFP.

Au total, les rotations aériennes entre Khartoum et Djibouti ont permis à 538 personnes de 36 nationalités différentes d’être prises en charge par les autorités françaises. Emmanuel Macron a salué « un travail exceptionnel dans des conditions extrêmement difficiles. » Les citoyens français amenés à Djibouti vont être rapatriés en France « très bientôt », selon une source diplomatique.

Des évacuations planifiées mais décidées dans l’urgence

La décision de lancer Sagittaire vient de tout en haut. Les ministères concernés par ce genre d’opérations dites « Resevac », pour évacuation de ressortissants, sont sous l’autorité directe du président de la République. Le ministère des Armées s’occupe de « l’évacuation primaire », c’est-à-dire le cheminement entre les points de regroupement et l’exfiltration du pays. Le ministère des Affaires étrangères, quant à lui, intervient dans un temps antérieur puisqu’il a la liste de tous les ressortissants qui habitent dans le pays concerné, puis il reprend la main sur l’évacuation secondaire à savoir qui va aller où dans le pays d’accueil, explique à 20 Minutes Isabelle Dufour, directrice des études stratégiques chez Eurocrise.

Alors que les combats ont éclaté mi-avril, le programme d’évacuation n’a été mis en place qu’une semaine plus tard. « En raison des enjeux diplomatiques et humains qu’elle implique, une décision d’évacuation est souvent différée au maximum par l’autorité politique, explique la doctrine française en matière de Resevac. Ce type d’opération est la plupart du temps déclenché et conduit dans l’urgence. »

Mais les opérations, bien que complexes, étaient prêtes. « Elles ont été organisées très rapidement, certaines personnes ont passé une semaine dans les ambassades ou dans les points de ralliement », explique à 20 Minutes Clément Deshayes, anthropologue et chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem).

Le contexte de guerre, une difficulté supplémentaire

Pour une évacuation, il faut que des conditions soient réunies, à commencer par une accalmie des combats. En ce qui concerne « Sagittaire », les autorités diplomatiques de la France ont pu obtenir des garanties politiques et sur le terrain de la part des belligérants (l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR)), selon une source au ministère des Armées. « Il faut dire que les ressortissants français et européens ne sont pas ciblés en tant que tel dans les combats », souligne Isabelle Dufour, ce qui facilite les manœuvres. Reste qu’il s’agit d’un contexte d’hostilité entre deux parties donc « il y a des armes partout et tout le monde est très nerveux », ajoute-t-elle.

Toute la difficulté a été de mettre sur la table, jusqu’au dernier moment, deux options, la voie terrestre ou aérienne. « La double planification a été compliquée », commente la même source. « Dans un pays en guerre, ce n’est pas la même histoire que d’exfiltrer après une catastrophe naturelle. Là, il y a deux belligérants qui se partagent un territoire, il faut sécuriser en amont », poursuit la source. D’autant que dans cette ville de Khartoum, très étendue, « il faut une connaissance » rue par rue des positions des différentes parties impliquées dans les combats « qui bougent minute par minute », explique Clément Deshayes.

C’est pourquoi un premier avion s’est d’abord posé à Khartoum samedi avec à son bord des forces et du matériel de reconnaissance pour assurer la faisabilité de l’extraction entre l’aéroport et les points de regroupements. « La décision de la voie aérienne a été prise le dimanche matin », poursuit la source du ministère des Armées. Une fois mis à l’abri, les ressortissants peuvent bénéficier d’une prise en charge psychologique et sont généralement accueillis dans la base militaire française.

Des évacuations par d’autres moyens

Combien reste-t-il de Français à évacuer alors que les conditions devraient être plus apaisées après l’obtention d’un cessez-le-feu par Washington ? Difficile de faire le compte exact. Selon une source diplomatique, « certains ressortissants préfèrent rester à Khartoum, d’autres ont pu partir par leurs propres moyens, il y a une multitude d’histoires individuelles mais la vaste majorité des Français ont été mis en sécurité. » Quand certains expatriés choisissent par exemple de faire appel à des convois égyptiens, d’autres sont pris en charge par des sociétés privées de gestion du risque.

Plusieurs d’entre elles sont françaises et ont participé aux évacuations du Soudan. La plupart du temps, « elles sont en lien avec les armées en général », selon Isabelle Dufour, et participent à l’effort commun pour ramener les Français aux points de rassemblements. Mais elles peuvent aussi, à la demande de leurs clients, des grandes entreprises sur place, mener des opérations d’évacuation en amont de celles organisées par les autorités, et ainsi entreprendre elles-mêmes ce genre d’intervention. « Elles sont souvent composées d’anciens militaires français », selon Philippe Chapleau, journaliste au service international de Ouest-France, et spécialistes des questions de défense.

Pour ceux qui ont décidé de rester, il sera toujours possible de changer d’avis car la France reste en contact avec ses alliés qui poursuivent leurs opérations d’évacuation. Mais certains, comme les binationaux ou les personnes mariées à des locaux, « ne veulent pas laisser leur famille au milieu du chaos », rappelle Clément Deshayes. Alors que le départ des diplomates et ressortissants signifie aussi qu’on « enlève tous les observateurs des abus qui vont avoir lieu ainsi que la capacité de médiation », ajoute-t-il. La population soudanaise risque donc d’être prise au piège sans que personne ne puisse témoigner de ses souffrances.