Belgique

« Le sentiment envers la police est négatif, comme si elle n’avait plus d’utilité »

Le 18 août, Domenico D., 31 ans, est abattu par la police lors d’une intervention qui ne se passe pas comme prévu. Le jeune homme était sur un quad (moto à quatre roues) lorsqu’une patrouille de police lui intime de s’arrêter. L’individu refuse d’obtempérer et fonce sur les deux policiers. L’un est blessé, l’autre tire et touche mortellement le chauffeur. Les faits se sont déroulés à Oupeye, commune liégeoise relativement calme, devenue le théâtre de quelques tensions depuis lors. Des tensions qui se sont d’ailleurs exportées dans la commune voisine de Herstal.

Voiture de polices incendiées, patrouilles caillassées, les heurts se multiplient et les autorités craignent un risque d’embrasement, à l’image de ce qui s’est passé en France en avril dernier, après la mort de Nahel, lui aussi mortellement touché par un tir policier après un refus d’obtempérer.

Pour Vincent Seron, professeur de criminologie à l’ULiège et spécialiste de la police, il y a certains points de similitudes, mais les deux situations ne sont pas véritablement comparables pour autant.

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Contextes sociaux différents

« Si l’origine de la colère des citoyens, en France et en Belgique, est un peu identique – à savoir un décès en marge d’un contrôle de police – on est quand même dans des circonstances quelque peu différentes, explique le professeur. La mort de Nahel, à Nanterre, a été filmée, et donc chacun a pu voir la façon dont cela s’était déroulé. On a pu voir, sur les images, que le policier avait brandi un pistolet sur la tempe du jeune homme avant de lui tirer dessus, ce qui n’a pas été le cas à Oupeye ».

L’enquête est toujours en cours, mais il semblerait que la mort de Domenico soit la conséquence d’un acte de légitime défense. C’est du moins l’une des thèses exposées pour l’instant. Se pose alors une question : les policiers liégeois n’avaient-ils pas la possibilité de neutraliser Domenico en tirant ailleurs ?

« Aujourd’hui, parce qu’on est après les faits, on peut affirmer plus facilement que le tir aurait pu être différent, sans nécessairement cibler la tête de l’individu sur son quad. Il est bien trop tôt pour tirer des conclusions, avertit Vincent Seron. Et puis, encore faut-il savoir si le tir était volontairement cadré ou non, si le policier n’a pas simplement réagi dans un contexte stressant. Car même pour un policier, c’est difficile d’adopter la bonne technique quand on est dans ce genre de situation. En même temps, on pourrait aussi dire que les policiers devraient être entraînés à pouvoir intervenir en tirant ailleurs, mais c’est plus facile à dire a posteriori. »

Quid des risques d’embrasement après ce dramatique fait divers ? Pour le criminologue, il est peu probable que nous assistions, à Oupeye (ou à Herstal) à des émeutes comme ce fut le cas en France après la mort de Nahel. « La zone de police Basse-Meuse est relativement calme. Oui, il y a des infractions et la police doit intervenir de temps à autre, mais nous ne sommes pas dans une zone de police où il y a des interventions policières récurrentes, comme c’est le cas dans d’autres zones de police urbaine du pays, comme Bruxelles ».

Et Vincent Seron d’ajouter : « Contrairement à la France, nous ne sommes pas non plus dans un contexte de banlieues sensibles qui se soulèvent. On n’assiste pas à cela à Oupeye, peut-être un peu à Herstal, mais par effet de halo et sans commune mesure avec ce que nous avons constaté en France après la mort de Nahel. »

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Amalgame et importation

Pour le professeur, le seul point de comparaison entre les situations en France et en Belgique concerne l’attrait pour la contestation de l’action policière. Selon Vincent Seron, chaque fait problématique – aussi minime soit-il – dans lequel les forces de l’ordre seraient impliquées peut susciter des tensions. Comme une occasion à saisir pour exprimer son désamour pour la police. « Que ce soit en France ou en Belgique, nous assistons à une série de comportements problématiques. Parfois ils sont qualifiés de violences policières, parfois pas, permettant alors à la justice de donner raison à la police. Mais dans tous les cas, cette succession d’évènements problématiques reste un terreau propice à la contestation de l’action policière, explique le professeur. On le voit à Oupeye et à Herstal : on ne connaît pas les tenants et les aboutissants de l’histoire, mais on assiste à une réaction d’une partie des citoyens incriminant l’ensemble de la police à la suite d’un seul événement ».

Vincent Seron pointe d’ailleurs un « amalgame » et évoque même une « importation » d’une série de problèmes en Belgique, dans l’optique de critiquer plus ouvertement l’action policière. « Il y a eu Georges Floyd, et récemment Nahel. Cette sédimentation ne fait qu’alimenter une remise en cause récurrente de la police, car la confiance envers cette institution s’est fragilisée au fil des ans. Elle a connu un point d’orgue pendant la période des attentats. Aujourd’hui, ce contexte est loin derrière nous, donc le sentiment envers la police est négatif. Comme si les policiers n’avaient plus aucune utilité. Dans un tel contexte, chaque action policière qui se passe mal alimentera des tensions nouvelles, c’est certain ».

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